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dimanche, 19 avril 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (53)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 116. Un livre, appellé Mar Pol, en françois, escript de lettre de fourme, historié et richement enluminé, couvert de satin vermeil figuré empraint, à deux fermoers d'argent doré, armoyés aux armes de Mons. de Bourgogne [Jean sans Peur (1371-1419)], cloués de quatre cloux dorés._125 liv. »

 

Il est émouvant, à mon sens, de noter que ce livre fut offert au duc par son neveu, Jean sans Peur, le flamboyant duc de Bourgogne, dont on peut voir aujourd'hui, au musée des beaux-arts de Dijon, le magnifique gisant du non moins magnifique tombeau qu'il partage avec son épouse Marguerite de Bavière, et que veillent des anges aux ailes d'or.

 

Il s’agit d’un livre de miniatures (ou histoires) illustrant l’ouvrage de Marco Polo (1254-1324), le Livre des Merveilles ou Devisement [description] du monde (1298), mais aussi les traductions de récits d’autres voyageurs.

En effet, Hiver de Beauvoir précise que le manuscrit comporte cet ex-libris de Jean Flamel, le secrétaire du duc, en lettres ornées : « Ce livre est des merveilles du monde, c'est assavoir : De la Terre sainte, du grant Kaan, empereur des Tartares, et du pays d'Ynde ; lequel Jean, duc de Bourgogne, donna à son oncle, Jehan, fils de roy de France […] Et contient ledit livre six livres ; c'est assavoir : Marc Pol ; Frère Oderic, de l'ordre des frères Mineurs ; le Livre fait à la requeste du cardinal Taleran de Perrigort : l'Etat du grand Kan ; le Livre de messire de Mandeville ; le Livre de frère Jean Hayton, de l'ordre des Presmontrés ; le Livre de frère Bernard Ricold, de l'ordre des frères Prêcheurs ; et sont audit livre deux cent soixante-dix histoires. Flamel. »

 

Les autres auteurs sont donc :

1. Oderic de Portenau, missionnaire franciscain, mort à Udine en 1331, auteur d’un récit de voyage, lequel le mena jusqu’en Chine ;

 

2. Jean de Mandeville, chevalier anglais, né vers 1300, mort à Liège en 1372, auteur d’un Livre des Merveilles du monde (Ce livre, également connu sous les titres Un Roman sur les merveilles, Voyages ou Une Geste, est le récit d’un voyage mi-réel mi-légendaire en Afrique du Nord, en Terre Sainte et en Asie) ;

 

3. Jean Hayton (ou Héthoum de Korikos), prince arménien, qui devint chanoine de Prémontré, et mourut prieur d'une abbaye de cet ordre à Poitiers, vers 1310, auteur de la Fleur des Histoires d’Orient ;

 

4. Ricold de Montecroix (Ricoldo da Monte Croce), dominicain, né à Florence vers 1243 et mort dans la même ville en 1320, auteur d’un Itinerarium ou Liber peregrinationis (récit d’un voyage au Moyen-Orient dans les années 1290, dont l'auteur revint avec un autre livre, Réfutation du Coran (Contra legem Sarracenorum)).

 

N. B.  : Le cardinal Hélie de Talleyrand de Périgord, cardinal du Périgord, doyen du chapitre de la cathédrale d'York (1301-1364), fut le commanditaire d’un livre qui est peut-être l'ouvrage intitulé ici L’État du grand Kan, dont l'auteur n'est pas mentionné. Mécène et protecteur des Lettres, Talleyrand de Périgord « fut pendant trente ans l'arbitre de la cour papale à Avignon ». Pétrarque, dont il fut l'ami, « disait de lui qu’il préférait faire des papes que l'être lui-même » (Hiver de Beauvoir).

Cet État du grand Kan est donc, peut-être, le Liber de quibusdam ultramarinis partibus et praecipue de Terra sancta de Guillaume de Boldensele (vers 1285-vers 1338), voyageur dominicain allemand auquel le cardinal commanda ce livre narrant son voyage au Moyen-Orient, particulièrement en Terre Sainte. Son ouvrage fut traduit en français en 1351 par le dominicain Jean Le Long (vers 1315-1383) sous le titre L'Estat de la Terre sainte et aussi en partie de la terre de Egipte.

 

 

 

« 117. Un autre petit livre, appellé Mar Pol, du devisement [description] du monde, escript en françois de lettre de fourme ; et au commencement du second fueillet, après la première histoire [miniature], a escript : Fist retraite ; couvert de cuir vermeil empraint, à deux fermoers de laiton._6 liv. 5 s. »

 

Il s’agit d’un extrait de l’ouvrage de Marco Polo, dont il question ci-dessus.

 

 

(à suivre.)

 

 

 

jeudi, 16 avril 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (52)

 

 

 

Introduction.

 

 

« 114. Un petit livre des Images du ciel et du monde, escript en françois de lettre de fourme ; et au commencement du second fueillet a escript : Sont en la voye ; couvert de cuir vert et fermant à deux petits fermoers de cuivre._55 s. »

 

Mon ignorance est ici totale : selon moi, il s'agit soit d'un extrait du livre de Nicole Oresme, Le Livre du ciel et du monde, soit d'un extrait de sa traduction du livre d'Aristote sur les astres (voir ici), soit encore du même ouvrage que celui-ci :

 

 

« 115. Un livre en françois de l’Image du monde, que fist maistre Gosserin, historié en plusieurs lieux, couvert de cuir vermeil, à deux fermoers, aux armes de Revel [Guillaume Flotte, ou Flote (vers 1280-après 1366), seigneur de Revel, légiste et chancelier de France sous Philippe VI de Valois, membre du Conseil royal sous Jean II le Bon]._12 liv. 10 s. »

 

Hiver de Beauvoir écrit que le « catalogue de la bibliothèque Impériale, D, 3782, attribue cet ouvrage à Pierre de Luxembourg. M. Brunet, au contraire, pense qu'il a été extrait d'un poëme français de Gauthier de Metz écrit vers le milieu du XIIIe siècle sous le titre de Mappemonde. Ce qui précède lui donnerait pour auteur maître Gosserin, qui n'est pas connu », et pas davantage aujourd’hui, ajouté-je.

 

 

 

(à suivre.)

 

 

 

dimanche, 12 avril 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (51)

 

 

Introduction.

 

 

 

« 111. Un livre en françois de l’Aristote, appellé : Du ciel et du monde ; couvert d'un drap de soye ouvré doublé d'un viel cendal [taffetas], à deux fermoers d'argent doré esmailliés aux armes de Monseigneur, assis [disposés] sur tixus de soye vermeille._12 liv. 15 s. »

 

Il s’agit d’une traduction par Nicole Oresme (voir ci-dessous) du livre d'Aristote, le Traité du ciel et du monde, dans lequel le philosophe développe sa théorie des astres.

 

 

« 112. Un livre en françois, de l’Espère [la Sphère] du ciel et du monde escript de lettre courant ; et au commencement du second fueillet a escript : De l’inégalité des jours ; couvert de cuir vermeil empraint à deux fermoers de laiton ; lequel Monseigneur retint pour lui d'une grande quantité de livres qu'il acheta de Baude de Guy le xvje jour de décembre mil cccc et cinq [26 décembre 1405], et donna lors tant à sa chapelle de Bourges qu'à plusieurs personnes, tout ensemble pour le prix de deux mille deux cent vingt escus._50 s. »

 

 « 113. Un livre en françois, de l’Espère du ciel et du monde, escript de lettre courant ; et au commencement du second fueillet a escript : Le monde est tout rond, historié en plusieurs lieux ; couvert de cuir vermeil empraint, fermant à deux fermoers d'argent doré tous plains, à deux tixus de soye noire ; lequel mondit seigneur retint pour lui de ladite grant quantité de livres dessut dit._15 liv. »

 

Il s’agit d'un ouvrage du génial (et très injustement oublié, aujourd'hui) érudit Nicole Oresme (vers 1320-1382), le Traité de la sphère (écrit avant 1377), dont voici le Prologue :

 

« La figure et la disposicion du monde, le nombre et ordre dez elemens et les mouvemens des corps du ciel appartiennent a savoir a tout homme qui est de france condicion et de noble engin. Et est bele chose et delectable, profetable et honeste, et aveques ce est neccessaire pour savoir philosophie et per especial pour astrologie. Mez afin que engin humain peust plus legierement tele chose comprendre, les sages anciens composerent entre lez autres un instrument qui est appellé espere [sphère] materiel ou articiel, lesquel on peut regarder tout entour, mouvoir et tourner et y considerer en partie la descripcion et le mouvement du monde et du ciel aussi, comme en un exemplaire, duquel je veul dire en françois generalement et plainement ce qui est convenable pour savoir a tout homme, sans moi perfunder [approfondir] es demostracions et es subtilités qui appartiennent as astrologiens, et veul deviser ceste œuvre par chapitres. »

 

(Voir également ici.)

 

(à suivre.)

 

 

jeudi, 02 avril 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (50)

 

 

Introduction.

 

  

Histoire

Cosmographie et géographie

 

 

 

« 108. Une mappemonde en uns tableaux [panneau] de bois longuet [de forme allongée], fermant en manière d'un livre._100 s. »

 

« 109. Une autre mappemonde en un role [rouleau] de parchemin, dedans un estuy de cuir._50 s. »

 

« 110. Une bien grande mappemonde, bien historiée, enrollée dans un grant et long estuy de bois, laquelle maistre Gontier Col [(vers 1350-1408), humaniste, diplomate, premier secrétaire de Charles VI] donna à Mons._120 liv. »

 

 

(à suivre.)

 

 

jeudi, 26 mars 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (49)

 

 

Introduction.

 

 

« 105. Un livre de Troye la Grant escript en françois de lettre de fourme ; et au commencement du second fueillet a escript : Les paroles ; et est couvert de veluyau vermeil fermant à deux fermoers d'argent doré ronds, lequel fut acheté par mondit Seigneur de Bureau de Dammartin, bourgeois et changeur de Paris, au mois d'avril 1402._40 liv. »

 

Sans en être tout à fait sûr (Hiver de Beauvoir pense qu’il s’agit là d’un livre de Jean Le Fèvre, auteur d’une Chronique ou Histoire de Charles VI, roy de France, sans bien étayer son affirmation), je pense que ce manuscrit est une copie du Roman de Troie dont il a déjà été question ici. Il est possible que je me trompe, car un livre intitulé Troye la Grant a peut-être disparu.

 

 

« 106. Un livre, escript en françois de lettre de court, de l’Histoire de Thebes et de Troyes ; et au commencement du second fueillet a escript : Edipus qui estoit avec un Polibos ; couvert de cuir vermeil empraint à deux fermoers de laiton et cinq boullons de mesmes sur chascun ais ; lequel livre l’évêque de Chartres [Martin Gouges, ou Martin de Charpaigne (vers 1370-vers 1444), ami de Jean de Berry et son trésorier général, et chancelier de France sous Charles VII] donna à Monseigneur le 7 juin 1403._15 liv. »

 

S’agit-il du Roman de Thèbes, dont il a été question ici ? C'est probable, à mon avis.

 

 

« 107. Un livre en françois qui parle [mentionne ceci] : Que les Gregoys* devinrent et où ils allèrent après la grant destruction de Troyes, escript de lettre courant ; et au second fueillet a escript : Pour Troyes restaurer ; historié au commencement, couvert de cuir vermeil empraint, fermant à deux fermoers d'argent doré à deux tixus de soye vermeille, et sur chascun ais a cinq petits clous d'argent doré en manière d'estoilles, lequel livre mondit Seigneur retint pour lui comme dessus._15 liv. »

* Gregoys, Grégeois : Grecs, personnes qui parlent grec.

 

D'après le titre, ce livre serait, selon Hiver de Beauvoir, soit une paraphrase de l'Odyssée, soit le même ouvrage que le Roman de Thèbes.

 

 

(à suivre.)

 

 

mardi, 24 mars 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (48)

 

 

Introduction.

 

 

« 104. Un romant qui parle des Quatre fils Haymont, de Rolant et Olivier, et plusieurs autres, escript de lettre de court ; et au commencement du second fueillet a escript : Pour aller à Paris ; couvert de cuir rouge empraint, à deux fermoers de laiton et cinq boullons de mesmes sur chascun ais ; lequel Mons. acheta de Jehan Flamel, son secrétaire, le prix de trente francs._15 liv. »

 

 

Ce manuscrit comprend notamment l’un des romans du cycle carolingien (id est de Charlemagne et des douze pairs), La Chanson des quatre fils Aymon, également intitulée Chanson de Renaud de Montauban, une chanson de geste née au IXe siècle, chantée par les trouvères et les troubadours dans les cours des châteaux, et transcrite au XIIIe siècle. Aalard, Guichard, Renaud (Renaud de Montauban) et Richard, fils du comte Aymon de Dordone, les « Quatre Preux », s’opposent à l’empereur Charlemagne dont ils sont les vassaux. On peut en lire le texte ici.

 

Le manuscrit recèle également la célèbre Chanson de Roland.

 

 

(à suivre.)

 

 

mercredi, 18 mars 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (47)

 

 

Introduction.

 

 

 

« 102. Un grand livre appellé le Livre de Lancelot du Lac, escript en françois de lettre de fourme, et bien historié au commencement et en plusieurs lieux ; et au commencement du second fueillet a escript : En la fin ; et est couvert de drap de soye vert à deux fermoers dorés ; lequel livre mondit Seigneur acheta l’an que dessus 1404 de maistre Régnant du Montet, demeurant à Paris, la somme de trois cens escus d'or._125 liv. »

 

Il s’agit de l’un des romans des Chevaliers de la Table ronde, le Lancelot-Graal, dont l’attribution est incertaine.

 

 

« 103. Un livre nommé Giron le Courtois, en deux volumes, commençant au second fueillet du premier volume : Prudomes et hardis, et au second fueillet du second : Quand le bon chevalier ; couvert de veluyau vermeil empraint, chascun à deux fermoers d'argent aux armes de Monseigneur, et sur cbascun volume cinq boulions dorés à fleurs de bourrache._150 liv. »

 

Roman des Chevaliers de la Table ronde, le Roman de Giron le Courtois fut composé vers le milieu du XIIIe siècle par un auteur inconnu (peut-être Hélie de Boron, prétendu neveu de Robert de Boron) et traduit par Luce du Gast (né vers 1190).

 

 

 

(à suivre.)

 

 

mercredi, 11 mars 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (46)

 

 

 

Introduction.

 

Belles-Lettres

Romans

 

 

 

« 100. Un livre de l’Arbre des batailles, escript en françois de lettre de court, historié et enluminé ; et au commencement du second fueillet, après la première histoire [image], a escript : Remout comment ; couvert de cuivre vermeil empraint, à deux fermoers de cuivre et cinq boulions de mesmes sur chascun ais._6 liv. 5 s. »

 

Honoré Bonet (ou Bonnet, ou Bonnor) (1340-1410), prieur et héraldiste provençal, est l’auteur de cet Arbre des batailles (1386-1389), dédié à Charles VI, livre sur le droit de guerre puisant à de nombreuses sources : décrets, décrétales, droit écrit romain et coutumier, usages.

 

  

« 101. Un livre en françois, escript de lettre de fourme, appellé le Livre de Végece et de Chevalerie, historié au commencement de trois hommes d'armes, l'un à cheval et deux à pié, couvert de cuir blanc à deux fermoers de laiton._12 liv. 6 d. »

 

Il s’agit de la traduction, par Jean de Meung, du traité De re militari de Végèce, à laquelle le traducteur ajouta des chapitres de son cru relatifs à la chevalerie. Voir ici, dans la bibliothèque de Charles d'Orléans.

 

(à suivre.)

 

 

mardi, 10 mars 2015

Actualité française

 

 

 

Une maison d'édition française, qui prétend privilégier la poésie, écrit à ses correspondants, dont je fais partie : « Actu poésie! Plein d'animations sympas, des ateliers rewriting, et un super concert le vendredi 13 mars! », etc.

 

En deux phrases, nous lisons trois apocopes et familiarités, un anglicisme hideux, absolument inutile de surcroît, deux laides appositions (sans même que soit ici posée la question de l'« actualité » de la poésie...), deux fautes typographiques (les espaces absentes avant les points d'exclamation) et une faute de français (ce ravageur et enfantin plein de) ! Quant au mot concert, je doute qu'il s'agisse de la musique de Bach ou de celle de Ravel ; il eût fallu spectacle, mais n'éreintons pas davantage cette bouillie de mots. (Et j'oublie les « animations »...)

 

Le plus consternant est de constater que ce monstre sans grâce émane d'une maison qui édite des livres de poésie ; le poème se caractérise aussi par l'effort dans la langue, le souci de la précision, le rejet de la faute (si elle n'est pas "licence poétique", elle-même supposant une parfaite maîtrise des mots et de la syntaxe, toujours difficile, recommencée comme la mer) et, essentiellement, par la beauté. Face à cela, kantien en diable, que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ? Pour commencer, sans doute, connaître et distinguer cette laideur (la voir se répandre autour de nous), ensuite écrire ce petit billet qui la dénonce (ce qui est peu de chose, j'en conviens), espérer enfin que, d'îlots éperdus dont je suis, et amoureux de la langue française, puisse naître quelque archipel.

 

 

 

 

lundi, 09 mars 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (45)

 

 

 

Introduction.

 

 

« 96. Plusieurs cayers de parchemin non reliés, escripts de lettre de court, de l’Istoire de Troyes._25 s. »

 

Sur ces cahiers épars, qui n’avaient pas reçu de reliure, était écrit le Roman de Troie.

 

  

« 97. Un livre de la Mutacion de fortune, escript en françois rymé, de lettre de court, compilé par une damoiselle appellée Xristine de Pizan, historié en aucuns lieux ; et au commencement du second fueillet a escript : Travail pénible ; et est couvert de cuir vermeil empraint, à deux fermoers de cuivre et cinq boulions de mesmes sur chascun ais ; lequel livre ladite damoiselle donna à Mons. au mois de mars 1403._10 liv. »


Il s’agit du Livre de la Mutation [au sens de « changement, transformation »] de Fortune, écrit en 1403 par Christine de Pisan.

 

 

« 98. Un livre compilé de plusieurs Ballades et Ditiez, fait et composé par damoiselle Xristine de Pizan, escript de lettre de court, bien historié et enluminé ; et au commencement du second fueillet après la table dudit livre, est escript : Tous mes bons jours ; couvert de drap de soye noire ouvré, à deux fermoers de cuivre doré, à cinq boulions de mesmes sur chascun ais ; lequel livre Mons. a acheté de ladite damoiselle deux cens escus._50 liv. »

 

Toujours de la Sage Dame, ce recueil devait comprendre l’un ou l’autre de ses livres de poésie (composés entre 1399 et 1403), les Cent ballades, les Virelays, les Ballades d'estrange façon, les Ballades de divers propos, les Complainctes amoureuses, les Lays, les Rondeaux, les Jeux à vendre, accompagnés du Dit de la Rose et du Dit de la Pastoure.

 

« 99. Un autre livre escript et noté [avec des notations musicales] de Lais anciens, couvert d'un cuir vermeil tout plain, à deux fermoers de cuivre._50 s. »

 

Cette notice bien vague ne permet pas d'identifier l'auteur de ces Lais anciens ; mais peut-être s'agit-il tout simplement de Marie de France (vers 1160-1210), l'auteur le plus célèbre de ces anciens récits versifiés. Il est troublant de lire que ce livre comprenait des notations musicales destinées au chant de ces Lais, notations qui sont sans doute perdues.

 

(à suivre.)

 

 

vendredi, 06 mars 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (44)

 

 

Introduction.

 

 

« 95. Le livre de l’Epistre que Othea la déesse envoya à Ector, compilé par damoiselle Xristine de Pizan, escript en françois de lettre de court et très bien historié ; et au commencement du second fueillet a escript : Pour ce ledit ; couvert de cuir empraint, à deux fermoers de cuivre et tixus noirs ; lequel livre ladite Xristine donna à Mons._50 liv. »

 

Cette Épître d’Othéa fut rédigée par Christine de Pisan vers 1400 : le livre se présente sous la forme d’une lettre qu’une divinité, Othéa, la « déesse de la prudence », écrivit pour Hector de Troie, alors âgé de quinze ans, afin de l'éduquer. Selon Christine de Pisan, les princes français descendent des Troyens : cette épître a donc un caractère politique, distillant au jeune et futur héros des conseils moraux et religieux.

 

(à suivre.)

 

 

mardi, 03 mars 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (43)

 

 

 

Introduction.

 

 

« 94. Le livre appellé de Longue estude, fait et compilé par une femme nommée Christine, escript de lettre de court, historié de blanc et de noir [en grisaille], couvert de cuir vermeil empraint, à deux fermoers de cuivre et tixus de soye ; et au commencement du second fueillet a escript : De souverain sens ; lequel livre fut donné à Mons., en son hostel de Néele [l’hôtel de Nesle], à Paris, par la dessus dite Christine, le xxje [21ème] jour de mars l’an 1402._5 liv. » 

 

Christine de Pisan (1364-1430) est l’auteur de ce beau livre en vers, Le Chemin de Longue Étude (1403), dédié à Charles VI, et dont la trame générale s'inspire largement de La Consolation de la Philosophie de Boèce.

La narratrice, nommée Christine, raconte comment, alors qu’elle était seule et désespérée, elle reçut durant son sommeil, dans une vision, la visite de la Sybille de Cumes. Celle-ci l’entraîne dans un voyage extraordinaire (le « chemin de Longue Étude ») : Christine découvre le monde, les lieux bibliques et légendaires, elle s’approche du paradis terrestre dont l’entrée est toujours interdite, puis elle gravit, par le moyen d’une échelle, l’air, l’éther, le feu, l’Olympe et le firmament (les cinq ciels). Au firmament, elle assiste à un débat animé entre plusieurs Dames, personnifications de la Sagesse, de la Noblesse, de la Chevalerie et de la Richesse, au sujet du remède à apporter aux guerres incessantes entre les hommes et à leur cortège de malheurs et de destructions. Dame Raison, leur reine, décrète qu’il faut trouver un homme parfait à même de gouverner harmonieusement le monde. Chaque Dame plaide sa cause : Sagesse décrit l’homme parfait sous l’aspect de la bonté et du savoir incarnés, Noblesse souhaite que cet homme soit issu d’une illustre lignée, Chevalerie insiste pour qu’il soit preux et invincible, Richesse pour qu’il soit l’homme le plus riche du monde. Le conseil de Raison, malheureusement, ne peut trancher en faveur du héros de l’une ou l’autre Dame. C’est alors qu’il décide de confier la résolution du débat à une cour terrestre, la plus grande et la meilleure étant la cour de France (c’est l’évidence même). Christine sera chargée par la Sybille d’être la messagère de la cour de Raison auprès des princes français.

 

Le livre figurait également dans la Bibliothèque de Charles d'Orléans.

 

 

(à suivre.)

 

 

vendredi, 20 février 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (42)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

 « 93. Un gros volume, escript en françois de lettre de court, auquel sont contenus les livres qui s'ensuivent ; c'est assavoir : le Livre des propriétés des choses, le Livre de l’Istoire de Thebes, le Livre de l’Istoire de Troyes, le Livre d’Orose, le Livre de Lucan, le Rommant de la Rose, le Testament de maistre Jehan de Mehun, le Trésor et le Testament dudit maistre Jehan de Mehun, Boesce de consolation, Matheole et autres livres, et en derrenier est le Viandier Taillevent ; et au commencement du second fueillet est escript : En espal ; et est couvert de cuir rouge empraint, à quatre fermoers de cuivre et cinq gros boulions de mesme sur chascun ais ; lequel volume mondit seigneur acheta au mois de may mil cccc iiij [mai 1404] de maistre Regnault du Montet la somme de deux cens escus d'or._75 liv. »

 

Ce livre réunit des ouvrages très divers, du poème au livre de cuisine, en passant par des ouvrages d'apologétique.

 

Dans l’inventaire du duc figuraient déjà, comme mon attentif Lecteur a pu le lire, des manuscrits du Livre des Propriétés des choses, du Roman de la Rose et du Testament de Jean de Meung.

 

La Consolation de la philosophie (vers 524), de Boèce, fut traduite en français par Jean de Meung. Le livre figurait également dans la bibliothèque de Charles d'Orléans, à Blois.

 

Le Roman de Thèbes est un roman écrit par un clerc anonyme vers 1150. Récriture du mythe d'Étéocle et de Polynice, les frères ennemis, fils d'Œdipe, il est l’un des plus anciens romans français.

 

Le Roman de Troyes ou Roman de Troie est un poème de Benoît de Sainte-Maure, composé vers 1160-1170. Comme d’autres écrivains dans l'entourage d'Henri II Plantagenêt et d'Aliénor d'Aquitaine, le poète adapte en français (il « met en roman ») les livres majeurs de l’Antiquité. Benoît de Sainte-Maure transforme les héros grecs et troyens de la guerre de Troie en chevaliers du Moyen Âge, entremêlant son récit des amours impossibles de Jason et de Médée, de Pâris et d'Hélène, de Troïlus et de Briséida, d'Achille et de Polixène. Dès le préambule, le poète déclare qu’il suivra de préférence non pas Homère, mais Darès le Phrygien, parce que l’Aède grec a rempli son poème de fables en faisant combattre les dieux et les déesses.

 

Le Livre de Lucan est une traduction des Vies des douze Césars de Suétone, comme l’indique un livre que nous verrons plus loin (notice 130).

 

Matheole désigne les Lamentaciones Matheoluli : Mathieu de Boulogne (appelé également Mahieu le Bigame, Matheolus, Matheolulus, Matthaeus Bononiensis, Matthieu de Boulogne-sur-Mer, Matheolus de Boulogne-sur-Mer, Mathieu de Boulogne-sur-Mer, ou encore Petrus Matheoli alias Nazardus ou Nasardus !) (vers 1260-vers 1320) est l’auteur de ces Lamentations (écrites entre 1295 et 1301), 5614 hexamètres rimés contre la femme, violente diatribe misogyne que critiquera Christine de Pisan dans sa Cité des dames. Le livre fut traduit en français par Jean Le Fèvre de Ressons (vers 1320-mort après 1380), procureur au Parlement de Paris et auteur du Livre de Leesca, qui prend l’exact contrepied des Lamentations de Mathéole, et qui figure peut-être dans les « autres livres » mentionnés dans la notice.

 

Quant au Livre d'Orose, il s’agit d’une traduction de Paul Orose (vers 380-mort après 418), prêtre et apologiste qui composa, à la demande de saint Augustin qui rédigeait alors La Cité de Dieu, ses Histoires contre les païens, censées raconter tous les malheurs du monde depuis Adam et prouver que le sac de Rome par Alaric, en 410, n’était pas une conséquence de l’adoption du christianisme et de l’abandon des anciens dieux par les autorités impériales : on avait été tout aussi malheureux auparavant, depuis les origines du monde, démontrait Paul Orose.

 

Enfin, le Viandier Taillevent est un livre de recettes, le plus ancien livre de cuisine français, attribué à Guillaume Tirel, dit Taillevent (vers 1310-1395), cuisinier des rois de France Charles V et Charles VI. Nous connaissons cependant un manuscrit plus ancien (dit « de Sion ») : celui-ci, daté de la première moitié du XIVe siècle, indique que l’attribution du livre à Guillaume Tirel est postérieure à son élaboration.

Voici quelques exemples de recettes du XIVe siècle, tirées du Viandier :

 

Cuisiez en vin et en eaue des foyes, des jussiers de poulaille, ou de chair de veel ; puis la hachiez bien menu, et frisiez en sain de lart, et puis broyez gingembre, canelle, giroffle, grainne de paradiz, et destrempez de vin, verjus et boullon de beuf, et du boullon mesmes des foyes, juisiers et veel, et des moyelz d'aeufz grant foison ; et coulez dessus vostre grain, et faictes bien boullir ensemble ; et y mettent aucuns ung pou de pain et de saffran ; et doibt estre bien lyaut, sur jaune couleur, aigret de verjus, et, au dressier par escuelles, mettez dessus pouldre de canelle.

(Faites cuire dans du vin et de l'eau des foies et des gésiers de volaille, ou de la viande de veau, puis hachez menu, faites frire dans du sain de lard et broyez du gingembre, de la cannelle, des clous de girofle et de la graine de paradis, puis détrempez de vin, de verjus et de bouillon de bœuf, ainsi que du bouillon des foies, des gésiers et du veau, et ajoutez de nombreux jaunes d’œufs, puis ajoutez à votre grain et faites bouillir tout ensemble ; certains ajoutent un peu de pain et de safran ; cela doit être très lié, de couleur jaune, au jus acide, et au moment de servir dans les assiettes, ajoutez de la poudre de cannelle.)

 

Et pour ris, prenes du ris et le laves, et prenez du layt de Vache ou damandes plumees et le lait de vache faictes boulir qui soit cuit et mettes ung bien peu de saffran pour luy donner couleur et du sel pour gouter.

(Et pour le riz, prenez du riz et lavez-le, puis mettez-le à cuire dans du lait de vache ou d'amandes décortiquées, et mettez un peu de safran pour la couleur, et salez.)

 

Et pour faire oyes a la trayson mettes les oyes haller en la broche et quant elles seront hallees mettes les souffrire en ung pot et mettes en sain de lart et en bouillon de beuf et prenez  canelle graine et clou de girofle et broyez se les Espices ne sont bien batues et mectes les espices dedans le pot au souffrire et du sucre assez raisonnablement, et prenes ung pou de pain et des foyes de poulaille et les mettes tramper en bouillon de beuf et de la moustarde assez raisonnablement et coulez et mettez au pot et bouillez tout ensemble et goutez de sel ainsi quil appartiendra.

(Et pour faire des oies à la trayson (trahison ? [c'est bien ainsi que l'on écrit ce mot en moyen français]), mettez-les à dorer à la broche, et quand elles seront bien dorées, mettez-les dans un pot avec un sain de lard et du bouillon de bœuf, broyez de la cannelle, des graines et des clous de girofle et mettez-les dans le pot avec un peu de sucre, et prenez un peu de pain et des foies de volaille et mettez le tout dans le bouillon de bœuf avec un peu de moutarde, et faites bouillir tout ensemble et salez comme il se doit.)

 

(à suivre.)

 

 

lundi, 16 février 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (41)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 91. Un livre en françois rymé [en vers] de la Destruction de Troyes, couvert de cuir blanc et deux fermoers de cuivre._50 liv. »

C’est probablement le Roman de Troie (vers 1160-1170) de Benoît de Sainte-Maure, poète normand ou tourangeau du XIIe siècle, livre dont il est également question ici, de façon plus approfondie, et sur lequel je reviendrai encore bientôt.

 
 

« 92. Un livre du Renart et plusieurs autres livres dedans, couvert de cuir vermeil empraint, à deux fermoers de cuivre vermeil, et est la courroye desdits fermoers de cuir tout plain._50 liv. »

Ce manuscrit comprend, outre des ouvrages dont les titres ne sont pas mentionnés (avec beaucoup de nonchalance !), le célèbre Roman de Renart.

 

 

(à suivre.)

 

 

 

mercredi, 11 février 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (40)

 

 

 

Introduction.

 

 

« 89. Un autre livre en françois, appellé le Pèlerinage de vie, qui se commence au second fueillet : Avecques son père Lucifer ; couvert de cuir vermeil, à deux fermoers de laiton, couvert d'une chemise de toile._15 liv. »

 

« 90. Un livre du Pèlerinage du corps et de l’ame, appellé le Pèlerin, escript en françois de lettre courant, historié au commencement et en plusieurs lieux de blanc et de noir [en grisaille] ; et au commencement du second fueillet a escript : Dedans lin et l’ame ; couvert de cuir vermeil empraint, fermant à deux fermoers d'argent blanc à deux tixus de soye noire._ [pas d’estimation]. » 

 

Il s'agit d'extraits d'une trilogie, comprenant Le Pèlerinage de la vie humaine (1330-1331), Le Pèlerinage de l'Âme (1355-1358) et Le Pèlerinage de Jésus Christ (1358), œuvre du poète et moine cistercien Guillaume de Digulleville (1295-après 1358). Le premier des manuscrits qui précèdent contient le premier des trois Pèlerinages, le deuxième le premier et le second.

S'inspirant du Roman de la Rose, Guillaume de Digulleville développe de façon allégorique le thème de l'homme voyageur (homo viator), sur le chemin des vices et des vertus, entre tentations et séductions. Il dira avoir eu la vision de la Jérusalem céleste et de ceux qui y pénètrent. 

 

(à suivre.)