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lundi, 03 novembre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (14)

 

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 30. Un très-bel Breviaire, escript de bonne lettre de fourme, qui fut du roi, bien historié et enluminé ; et au commencement du second fueillet après la fin du Kalendrier a escript : Agnovit bos ; couvert d’un drap de soye ouvré [ouvragé], et par-dessus une chemise de drap de damas noir doublé d’un tiercelin vermeil, fermant à deux fermoers d’or en façon de chasteau [les fermoirs figurent un château de façon stylisée, comme dans l'héraldique] ; et n’y a point de pippe ; lequel Breviaire Monseigneur a eu de feue madame la duchesse d’Orléans [Valentine Visconti (1368-1408), épouse de Louis 1er d’Orléans (1372-1407), mère de Charles d’Orléans] ; et avoit été de feu Mgr d’Orléans, son mari, auquel mondit seigneur l’avoit donné._200 liv. »

 

 

Les diverses indications des propriétaires successifs de cet ouvrage permettent d’identifier ce précieux livre : il s’agit du Bréviaire de Paris (Breviarium Parisiense), dit Bréviaire de Charles V (vers 1364-1370), illustré principalement par l’enlumineur Jean Le Noir, actif entre 1331 et 1380. Charles VI, à la mort de son père, l’offrit à Louis d’Orléans. Il est encore conservé à la Bibliothèque nationale de France ; on peut le consulter ici. Au folio 154r, une intéressante Trinité, où la colombe du Saint-Esprit sort de la bouche du Père.

 

 

(à suivre.)

 

 

samedi, 01 novembre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (13)

 

 

 

 

Introduction.

 

 

 

 

« 27. Un Breviaire en deux volumes à l’usage de Paris, noté et richement historié, couvert de veluyau violet et figuré [orné de figures], doublé de satin noir, fermant à deux fermoers d’argent doré aux armes de Monseigneur ; et en l’un a une pippe d’argent._375 liv. »

 

« 28. Un Breviaire en deux volumes à l’usage de Paris, qui se commence au second fueillet après le Kalandrier [sic] : Sion montem ; couvert de drap de damas vermeil doublé de satin vermeil, fermant à deux fermoers d’argent doré aux armes de Messire Pierre de Navarre.

L’autre volume pareil dont le brief d’iceulx est en françois [l’ouvrage contient un résumé en français]._125 liv. »

 

Cet ouvrage était depuis peu dans la collection du duc, car il avait appartenu à Pierre de Navarre, comte de Mortain, fils du roi de Navarre Charles II (« Charles le Mauvais ») et ami fidèle de Charles VI. Né en 1366, il mourut à Sancerre le 29 juillet 1412 au retour du siège de Bourges.

 

 

« 29. Un Breviaire en deux volumes, où il a plusieurs histoires de blanc et de noir, couvert d’un drap de soye blanche, fermant chacun à deux fermoers d’or, les uns esmailliés aux armes d’Orléans et les autres à ymages [effigies, représentations diverses]._150 liv. »

 

Les enluminures et miniatures « de blanc et de noir », c’est-à-dire en grisaille, apparaissent en France par l’entremise de l’enlumineur Jean Pucelle, mort en 1334, et de son disciple Jean Le Noir, actif entre 1331 et 1380, qui sont peut-être les artistes ayant contribué à ce Bréviaire.

 

Voici une "miniature en grisaille" de Jean Pucelle, représentant une scène de la vie de saint Louis (saint Louis et les ossements de lépreux), tirée du Livre d'Heures de Jeanne d'Évreux (vers 1325-1328) conservé au musée des Cloîtres de New York :

 

 frédéric tison, la librairie de jean de berry au château de mehun-sur-yèvre, 1416

(Source.)

 

 

(à suivre.)

 

 

 

samedi, 25 octobre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (12)

 

 

 

Introduction.

 

   

Théologie (suite)

Liturgie et livres de prières

 

 

« 24. Un autre livre en françois, appelé Renconnal, historié au commencement d’un pape de l’Eglise et de la synagogue, couvert de cuir rouge empraint, à deux fermoers d’argent doré esmailliés d’une Annonciacion._100 liv. »

 

Hiver de Beauvoir pense qu’au lieu de Renconnal (livre qui, en effet, n’est mentionné nulle part, sauf erreur de ma part) il faut lire Rational : il s’agirait donc du Rational [id est « ce qui concerne les comptes »] du divin Office (Rationale divinorum officiorum) (1286) de Guillaume V Durand, évêque de Mende (vers 1230-1296), traduit en français, à la demande de Charles V, par Jehan Golein (vers 1325-1403), théologien et moine carme parisien.

 

 

« 25. Un livre nommé Pontifical, de très-grosse lettre pour sacrer rois, emperieres [empereurs], archevesques et evesques, couvert d’un drap de soye azuré doublé d’un tiercelin, à deux fermoers d’argent doré aux armes dudit Mgr le duc._15 liv. »

 

Un Pontifical était un livre liturgique contenant les formules et les cérémonies des fonctions réservées respectivement aux puissants du monde d’alors : archevêques, évêques, rois et empereurs s'y voyaient prescrire les actes et les paroles qu'il était nécessaire d'accomplir et dire.

 

 

« 26. Un livre petit, escript de grosse lettre et noté en aucuns lieux [en plusieurs endroits se trouvent des notations musicales], du sacre du roi de France, couvert de viel cuir blanc sans fermoers, non prisé [estimé] ; lequel est en l’hostel de Thevenin de Bonpuis et est ordonné être mis en la librairie du roi comme l’an dit. »

 

« Thevenin, ou Estienne de Bonpuis, échevin de Paris, [était] l’un des créanciers du duc », note Hiver de Beauvoir. Cet ouvrage était destiné à rejoindre la collection royale, car il s’agit d’une partie du texte des Grandes Chroniques de France, rédigées par les moines de l'abbaye de Saint-Denis depuis Philippe III de France, dit le Hardi, roi de 1270 à 1285 : ces Chroniques constitue l'histoire officielle du royaume de France depuis le premier des Valois et son ascendance immédiate. Charles V, qui les fit copier, leur fit ajouter, peut-être par son chancelier Pierre d'Orgemont, une suite importante relative aux faits du règne de son père Jean II le Bon ainsi qu’aux faits ayant eu lieu sous le sien. Le livre appartenait donc d’office à la Couronne.

 

 

 (à suivre.)

 

 

lundi, 20 octobre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (11)

 

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 23. Un Livre des trois Maries et de leur sainte lignée, escript en françois de lettre de court ; et au commencement historié d’elles et de leurs maris ; couvert de cuir vermeil empraint, et fermant à iiij [quatre] fermoers de cuivre sur cuir._10 liv. »

 

Je ne suis sûr, ici, de rien, mais peut-être s’agit-il du long poème en 35 000 vers français octosyllabiques (!), Histoire des Trois Maries, qu’écrivit vers 1357 Jean Fillon, dit Jean de Venette, près de Compiègne (vers 1307-après 1368), moine carme parisien, chroniqueur et peut-être le second continuateur de la Chronique latine de Guillaume de Nangis (vers 1250-1300).

Je déduis d’après le titre de l’ouvrage que Jean de Venette raconte l’histoire de Marie mère de Jésus, celle de Marie mère de saint Jacques le Mineur (mariée à Clopas selon certaines sources), et de Marie Salomé, femme de Zébédée. Il me faudrait lire les 35 000 vers pour en être certain, mais…

 

 

(à suivre.)

 

 

jeudi, 16 octobre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (10)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 20. Un petit livre de la Passion Notre Seigneur, couvert de cuir rouge empraint, fermant à deux fermoers de laiton ; et a escript au commencement du second fueillet dudit livre : Pauvre appelle ; lequel livre Mons. acheta d’un libraire de Paris pour le prix de vj [6] escus d’or._77 s. 6 d. [deniers] »

 

Sous Charles VI, en sus de la livre (parisis et tournois), du sou et du denier (cf. l’introduction), la monnaie s’exprimait en écu. Créé le 11 mars 1385, l’« écu à la couronne » correspondait à 3,95 grammes d’or.

 

 

« 21. Un petit livre en françois, appelé le Livre d’Annonciacion, historié au commencement d’un duc haut en une chayère, et d’un docteur qui lui présente un livre [la miniature représentait le grand seigneur, assis dans une chaire, auquel un lettré, maître, universitaire ou érudit, présentait un livre] ; couvert d’un veluyau vermeil doublé de cendal [tissu de soie dont l’apparence est celle du taffetas, souvent teint en rouge, employé d'ordinaire à doubler les vêtements d'étoffes plus précieuses, à élaborer des tentures ou des bannières, etc.], fermant à deux fermoers d’or esmailliés aux armes de Mons.  et tixus de soye, et au bous deux gros boutons de perles, et en la pippe a deux perles._27 liv. 10 s. »

 

 

« 22. Un Livre des miracles Notre Dame, escript en françois de lettre de fourme et noté en aucuns lieux [avec des notations musicales en quelques endroits] ; et au commencement du second fueillet a escript : Comment que ; et est couvert de veluyau violet viel [d'un vieux velours de couleur violette] doublé de tiercelin vermeil, et fermant à deux fermoers d’argent doré esmailliés des armes de France, lequel mondit seigneur a eu du Roi._30 liv. »

 

Hiver de Beauvoir indique que ce livre contient les Miracles de la Vierge, ouvrage composé par le moine Hugues de Farsy, religieux de Saint-Jean-des-Vignes, à Soissons, et traduit du latin en vers français par Gautier de Coinsy, moine de Saint-Médard, à Soissons également.

Hugues de Farsy vécut au XIIe siècle, Gautier de Coinsy, au XIIIe siècle.

Je me souviens de Saint-Jean-des-Vignes, à Soissons : mon Lecteur peut en trouver ici (s’il veut bien m’excuser pour les hideuses publicités que je ne parviens pas à effacer de mon ancien blogue…) une image qui m'est souvenir (la troisième du petit billet).

 

 (à suivre.)

 

 

 

 

mardi, 14 octobre 2014

Souvenir

 

 

 

 

J'aime bien établir l'inventaire de la "Librairie" de Jean de Berry, à mes moments de loisir.

 

Peu s'en souviennent, mais tout de même, Jean de France, duc de Berry, frère du roi Charles V, fut surnommé Jean le Magnifique. Nous aussi, nous avons notre Laurent, étranger à Florence...

 

Il est nécessaire, certainement, de se souvenir que, jadis, les puissants de notre pays n'œuvrèrent pas seulement dans leur propre intérêt, mais également dans celui de la beauté, dont la France était un accomplissement, un joyau, une pensée.

 

Jadis, jadis ! D'aucuns diront : un rêve ! D'autres, pire : une gnose !...

 

 

 

 

 

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (9)

  

 

  

 

Introduction.

 

  

 

« 18. Un autre petit livret, couvert de pel [peau] de parchemin, appelé le Livre de la joyeuse vision, et se commence au second fueillet : Tout un semblait._25 s. »

 

Mystérieux petit livre ! Peut-être s'agit-il du commentaire d'un texte sacré (l'Apocalypse ?) ou de sa paraphrase.

 

 

« 19. Une Bible abreviée [abrégée] en un grant role [rouleau], richement historiée et enluminée, commençant : Hic incipit prologus._ 12 liv. 10 s. »

 

Ce manuscrit n’était pas un codex mais un volumen, un rouleau de parchemin, à la manière des livres antiques, que l’on déroulait d’une main. Ce type de livre se présentait sous la forme d'un rouleau de trente centimètres de large et de sept mètres de long environ, et contenait l'équivalent de soixante pages d'un livre moderne. Le rouleau est ici décrit comme grand, ce qui augmente certainement quelque peu son contenu.

 

 

(à suivre.)

 

 

 

samedi, 11 octobre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (8)

 

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 15. Un petit rommant [roman] de Miserere mei Deus, couvert de cuir blanc, à deux fermoers de laiton._5 s. »

 

Ce « roman » devait être un discours sur le Miserere, c’est-à-dire le Psaume 50 (51), ou bien une "mise en récit" de ce dernier.

 

 

Au maître de chant. Psaume de David. 

Lorsque Nathan le prophète vint le trouver après qu’il fut allé vers Bethsabée. 

Aie pitié de moi, ô Dieu, selon ta bonté ; selon ta grande miséricorde efface mes transgressions. 

Lave-moi complètement de mon iniquité, et purifie-moi de mon péché. 

Car je reconnais mes transgressions, et mon péché est constamment devant moi...

 

(Début du Miserere, traduction du chanoine Crampon.)

 

 

 

Arvo Pärt, Miserere (1989),
The Hilliard Ensemble, Paul Hillier,
Orchester der Beethovenhalle Bonn, Dennis Russell Davies.

 

 

 

« 16. Un autre livre en françois, escript de lettre de fourme, des Epistres et Évangiles de toute l’année, historiée en plusieurs lieux, couvert de cuir vermeil empraint, à deux petits fermoers de cuivre et seignaulx de plusieurs soyes._100 s. »

 

Il s'agit d'extraits des Épîtres et des Évangiles répartis sur les jours de l'année liturgique.

 

 

« 17. Un livre de l’Apocalypse, escript de lettre de court [lettres gothiques], translaté en françois, et y a plusieurs exemples après [L’Apocalypse proprement dite est suivie d’anecdotes, de petits récits destinés à illustrer le texte sacré] ; couvert de cuir rouge ; à deux fermoers de laiton._30 liv. »

 

 

(à suivre.)

 

 

 

jeudi, 09 octobre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (7)

 

à Denis Trente-Huittessan, ami des livres, du voyage, des images et des inventaires.

 

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 13. Un livre de très-grosse lettre de fourme, auquel [dans lequel] sont plusieurs oraisons en latin et les sept Seaumes [les Psaumes pénitentiels ou Psaumes de confession, à savoir les Psaumes 6, 32, 38, 50 (51) (Miserere), 102, 130 (De profundis) et 143], compilé par François Pétrarque ; les Heures de la Croix et du Saint-Esprit, et plusieurs autres dévocions et contemplacions à Dieu ; et au commencement du second fueillet a escript : Ac sompnolencia ; couvert de cuir rouge empraint, en un viel fermoer d’argent blanc, et fault [manque] l’autre fermoer ; lequel livre maistre Philippe de Corbie, conseiller et maistre des requestres de l’hostel du Roy et de Monseigneur, donna à mondit seigneur le xviije [18e] jour de novembre l’an 1404._80 liv. »

 

C'est sans doute à Vaucluse, où il se retira une deuxième fois en 1346, que Pétrarque compila ses Psalmi Penitentiales, en même temps que son traité De la Vie solitaire. C'est d'ailleurs durant ses séjours en ces lieux, entre 1338 et 1353, qu'il composa l'essentiel de ses œuvres poétiques, littéraires ou érudites. En marge, je ne résiste pas au plaisir de déposer ici un dessin, de la main du poète, figurant sur un manuscrit de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, datant de ces années, et représentant la Fontaine de la Sorgue, à Vaucluse, aujourd'hui Fontaine-de-Vaucluse, destination enchanteresse que je ne connais pas encore...

L'émouvant dessin porte la légende manuscrite « Transalpina solitudo mea i[j]ocundissima », « Ma très agréable solitude transalpine » :

 

frédéric tison,la librairie de jean de berry au château de mehun-sur-yèvre,1416

  

(Source)

 

 

 

« 14. Un petit livre où sont les sept Seaulmes [Le mot est écrit « Seaumes » dans la notice 13., ci-dessus. L'orthographe, au début du XVe siècle, n'est guère rigoureuse, et ne le sera pas avant les sourcilleux grammairiens du XVIIe siècle.] escripts de lettre de fourme, et entre chascun vair desdits sept Seaulmes a un autre ver fait sur la sustance [substance, contenu] des vers d’iceux sept Seaumes [alternance de vers psalmiques et de paraphrases versifiées, sans doute en français (on remarquera encore l'orthographe incertaine, vair et ver étant ici équivalents)] ; bien historié au commencement et enluminé, et au commencement du second fueillet a escript : Manè infirmius ; couvert de cuir rouge empraint, à deux fermoers d’argent doré esmaillés d’une couronne d’épines, et a escript dans ladite couronne : Philippus  [Le livre appartint-il à Philippe VI, roi de France bien oublié ? C'est possible : c'est le grand-père paternel de Jean de Berry. Ou bien est-ce un autre Philippe, j'y songe : le frère cadet du duc, Philippe II de Bourgogne, dit Philippe le Hardi, qui était mort en 1404 ?] ; et y a une chemise de drap de soye noir semé de fueillage vert, doublée de veluy noir ; lequel livre Xristine de Pizan donna à Mons. à estraines [en cadeau] le premier jour de janvier l’an 1409._5 liv. »

 

Christine de Pisan (1364-vers 1430) est-elle l’auteur de cette paraphrase des Psaumes ? Le livre est perdu, et sa notice, ci-dessus, est ambigüe à ce propos : oui, le donna-t-elle au duc seulement, ou en fut-elle également l'auteur ? L’inventaire des livres de Jean de Berry montre, comme on le verra, que l’écrivain lui fit de nombreux cadeaux ; le duc fut l’un de ses mécènes ; il possédait presque toutes les œuvres de la Sage Dame.

Elle apparut dans l'entourage du duc le 20 mars 1403, à l'Hôtel de Nesle. Elle s'y fit connaître d'abord par son Chemin de Longue Étude, décrit par le bibliothécaire du duc Robinet d'Étampes comme l'ouvrage d'une « femme appelée Christine ». Lorsqu'elle offre à son protecteur son Livre de la mutation de fortune, en 1404, elle est devenue « une demoiselle appelée Christine de Pizan ». La reconnaissance « officielle » se fait en 1405, le jour de l'an, quand son Livre des fais et bonnes meurs du sage roi Charles V est donné comme l'œuvre de « Demoiselle Christine de Pizan ».

 

 

(à suivre.)

 

 

 

samedi, 04 octobre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (6)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 12. Un Psaultier escript en latin et françois, et très-richement enluminé, où il a plusieurs histoires [miniatures peintes] au commencement de la main de feu maistre André Beauneveu, couvert de veluyau vermeil, à deux fermoers d’or esmaillés aux armes de Mons._100 liv.»

 

 

André Beauneveu (vers 1335-vers 1400), peintre, sculpteur et enlumineur, fut dans les années 1380, après avoir été à celui de son frère Charles V, au service de Jean de Berry, avec le titre de « Surintendant de toute peinture et de sculpture » pour le Berry. Il participa à l’embellissement du château de Mehun-sur-Yèvre et de la chapelle du palais de Bourges.

 

Ce livre, connu aujourd’hui sous le nom de Psautier de Jean de Berry, est encore conservé à la Bibliothèque nationale de France : on peut le consulter ici.

 

Voici une ystoire*, une miniature de la main de l’artiste, issue de ce livre et représentant le roi David :

 

 

André_Beauneveu_001.jpg

 (Source)

 

 

(à suivre.)

 

_________

* L'orthographe hésita longtemps entre histoire et ystoire, comme entre hiver et yver. De même, clef et clé coexistent encore. Il me serait douloureux de renoncer aux uns comme aux autres, s'ils sont également beaux. Choisir, ici, serait un peu comme élire Pierre Jean Jouve contre Paul Valéry, que le premier n'aimait pas, ou Rimbaud contre Racine, que la "Lettre du Voyant" du 15 mai 1871 traite de « Divin Sot », mais ne sommes-nous pas au-delà de ces pourtant hautes querelles, si l'esprit de la poésie nous apparaît désormais plus ondoyant que naguère, peut-être, et surtout plus menacé ?

 

 

 

 

vendredi, 03 octobre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (5)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 11. Un livre, ouquel [dans lequel] est contenu tout le Psaultier et plusieurs autres oraisons parmi ledit Psaultier, et au commencement du second fueillet a escript : Saint Offerez [? (un Lecteur pourrait-il m'éclairer ?)] ; et couvert de cuir vermeil empraint, à deux fermoers d’argent doré, esmaillés aux armes de feu messire Jean de Montaigu ; lequel livre fut dudit defunct [défunt], et l’envoya quérir mondit seigneur après sa mort chez Fremin de Revelle, escripvain, demeurant à Paris, le xxvje [26e] jour d’octobre 1409._25 liv. »

 

 

Messire (ah ! si seulement ce mot élégant était encore usité !) Jean de Montaigu (ou Montagu, vers 1349-1409) fut le Souverain Maître d’hôtel du roi Charles VI. Son immense fortune lui valut l’inimitié des ducs de Bourgogne, et le 17 octobre 1409, Jean sans Peur le fit arrêter puis décapiter aux Halles, à Paris.

 

Fremin de Revelle, personnage obscur à bien des égards, fut, semble-t-il, un artisan du livre installé sur le pont Notre-Dame, à Paris. Ce pont, construit en 1406 après l’effondrement d’une passerelle, s’effondrera à son tour en 1499 ; il était en bois sur pilotis et hébergeait trente-quatre loges pour les artisans, parmi lesquels on trouvait les libraires-imprimeurs, dits « escripvains ».

 

(à suivre.) 

 

  

 

dimanche, 28 septembre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (4)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 9. Un autre livre, appelé le Livre des Rois selon la Bible, commençant au père Samuel, couvert de cuir vermeil empraint, à deux fermoers de cuivre, qui ont testes [têtes] de serpens et les tixus de soye dorés par-dessus._100 s. »

 

 

« 10. Un Psaultier bien ancien, historié le Kalendrier et ailleurs en plusieurs lieux, qui fut de feu S. Thomas de Cantorbie, où il a deux petits fermoers d’argent blanc, couvert d’un veluyau violet._4 liv. »

  

Si je ne m’abuse, cet ouvrage est extraordinaire, car il aurait appartenu à Thomas Becket ! Thomas Becket, ou saint Thomas de Cantorbéry (1117-1170), qui s’opposa à Henri II d’Angleterre lors de la promulgation des Constitutions de Clarendon (1164) soumettant la justice ecclésiastique à la justice royale. Il fut assassiné à l’instigation du roi (qui dut faire une pénitence publique à la demande du pape Alexandre III), et fut canonisé dès 1173. C’est sur le chemin menant à son sanctuaire que les pèlerins se racontent leurs histoires, dans Les Contes de Cantorbéry de Geoffrey Chaucer.

 

 

(à suivre.)

 

 

jeudi, 25 septembre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (3)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

« 5. Une belle Bible en deux volumes, escripte en françois, de lettre de fourme, et au commencement du tiers fueillet du premier volume a escript : Ces nouvelles faire, et au commencement du tiers fueillet du second volume a escript : Iniquité ; couverts tous deux de drap de soye vert ouvré à oyseaulx [décoré de motifs d’oiseaux], doublé de tiercelin vermeil, et fermans chascun de quatre fermoers d’or, et au premier volume a une pippe d’or, et au second n’en a point ; laquelle Bible le roy [Charles VI] donna à Mgr le duc le xxve jour d’avril après Pasques, l’an 1403._ 400 liv. » 

 

« 6. Une très-belle Bible en françois, escripte de lettre de fourme, très-richement historiée au commencement, garnie de quatre fermoers d’or, ès deux desquels [sur lesquels] a deux balais [rubis d’Orient], et ès deux autres deux saphirs, en chacun deux perles, esmaillés des armes de France, et au bouz des tirans [lanières servant d’attache et de fermeture à un livre] de chacun un bouton de perles, et sur le tixu d’un chacun petites fleurs de lys d’or clouées ; et y a une pippe de deux têtes de serpens garnie de seignaulx._300 liv. »

 

« 7. Une autre Bible en françois, escripte de lettre françoise, très-richement historiée au commencement, laquelle donna à Mons. Raoul d’Octonville [le meneur des assassins, mandatés par Jean sans Peur, de Louis Ier d’Orléans, tué le 23 novembre 1407] ; garnie de iiij [quatre] fermoers d’argent doré, en chascun une image esmaillée des quatre évangélistes, et sont les tixus de soye verte, et dessus l’un des ais a un quadran [instrument d’astronomie] d’argent doré et les douze signes à l’environ, et dessus l’autre a une astralabe [astrolabe] avec plusieurs escriptures._250 liv. » 

 

 « 8. La Bible, en un volume escript en françois de lettre ronde, historié en plusieurs livres très-richement, et au commencement de la Trinité, Notre-Dame en son trône, et plusieurs angels et patriarches ; et au commencement du second fueillet a escript : Comme fait la journée ; couvert de veluyau vermeil, fermant à quatre fermoers d’argent doré, esmaillés ou [au] milieu, a chacun un tixu de soye bleue._375 liv. »

 

 

La plupart de ces Bibles en français, selon toute vraisemblance, ont pour traducteur l’humaniste Raoul de Presles, qui offrit sa première traduction à Charles V en 1377. Il traduisit également La Cité de Dieu de saint Augustin. Un autre érudit, répondant au nom magnifique de Jehan de Sy, paracheva en 1398 sa traduction française de l’Écriture sainte, qui s’appuyait sur celle qu’avait commencée Jean Le Bon entre 1226 et 1250 et que ce dernier n’avait pu achever.

 

 (à suivre.)

 

 

dimanche, 21 septembre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (2)

 

Introduction.

 

  

 

« 3. Une petite Bible en latin, qui se commence au second fueillet : Multa significat ; couverte de drap de satin bleu, fermant à deux fermoers d’or aux armes de Mons., sur tixus [rubans où était attaché l’agrafe servant de fermoir] noirs ; a une pippe [tige métallique aussi longue que l’épaisseur du livre, où s’attachaient les signets ou marque-pages] garnie d’un balay rond [rubis d’Orient] et deux grosses perles ; prisée [estimée], sans la pippe, trente-deux livres parisis ; et la pippe a été depuis prisée par Julien Simon et Hermant Ruece [orfèvres du duc] cent escus valent cent douze livres dix sous tournois._ 40 liv. »

 

« 4. Une belle Bible en deux volumes, escripte en françois, de lettre de fourme [lettre de forme : écriture gothique, en lettres minuscules et en gros caractères, habituellement utilisée pour les Bibles], bien historiée, et  au commencement du second fueillet a escript : Des Généracions, cap. xvi [chapitre (capitulum) 16] ; couvert de veluyau vermeil ouvré, à deux fermoers d’argent doré sur chacun ais [feuillet de bois utilisé pour la reliure], et une pippe d’argent doré à plusieurs seignaulx de soye [signets, marque-pages en soie]._200 liv. »

 

(à suivre.)

 

 

vendredi, 19 septembre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (1)

 

 

 Introduction

 

 

Lorsqu’il meurt, le 15 juin 1416, dans son hôtel de Nesle à Paris, Jean de France, duc de Berry, laisse de considérables dettes ; la liquidation de sa succession prévoit le rapatriement, à Paris, des livres de sa « Librairie »* constituée au château de Mehun-sur-Yèvre.  L’inventaire et l’estimation de la bibliothèque du fastueux prince furent dressés par Jean Le Bourne, contrôleur de sa maison. Il en reste deux manuscrits, dont celui que conserve la bibliothèque Sainte-Geneviève et que le magistrat de Bourges et érudit Alfred Hiver de Beauvoir (1802-18..?) publia, en 1860, sous forme de catalogue thématique : son ouvrage La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416, publiée en entier pour la première fois d’après les inventaires et avec des notes, paru chez Auguste Aubry, à Paris, répertorie en effet les ouvrages du duc en usant de cinq grandes classes, « Théologie », « Science & Arts », « Belles-Lettres »,  « Histoire » et « Livres divers », qui ne figuraient pas dans l’inventaire original où tous les livres se succédaient sans aucun ordre ou presque, à l’instar de l’inventaire de la Bibliothèque de Charles d’Orléans, à son château de Blois, en 1427.

 

Quelle était, à la fin du XIVe et au début du XVe siècle, une bibliothèque princière ? Celle de Charles d’Orléans (tout du moins celle du château de Blois, qu’il avait héritée de son père et augmentée) était aussi celle d’un poète. Jean de Berry était un lettré, et un bibliophile, mais n’était pas un poète – sa bibliothèque diffère-t-elle vraiment de celle de Blois ? Il m’a semblé curieux de me plonger dans cet inventaire à mon tour, sachant que les 162 ouvrages manuscrits répertoriés représentent un chiffre considérable pour l’époque, et que le château de Mehun-sur-Yèvre, qui était alors, si j’en crois la merveilleuse miniature des frères Limbourg contenue dans les Très Riches Heures du duc de Berry, le plus beau des châteaux, devait sans nul doute offrir, aux yeux du duc, l’écrin le plus digne du meilleur ou du plus précieux de sa collection.

 

 

Comme pour la bibliothèque de Blois, je propose de livrer ici l'intégralité de cet inventaire ; encore une fois je le ferai sous la forme de fragments, de petits billets qui présenteront un, deux ou trois ouvrages à la fois. Je respecterai l'ordre adopté par Hiver de Beauvoir ; je conserverai également l'orthographe de l'original, d'après la transcription effectuée par l’éditeur et auteur.

Je laisserai les prix indiqués à la fin des notices, et qui s’expriment par exemple ainsi : « 50 liv. 10 s. », c’est-à-dire : 50 livres et 10 sous. Une livre (environ 409 grammes du métal argent) valait 20 sous (qui eux-mêmes valaient 240 deniers). La livre parisis est celle de Paris, la livre tournois celle de Tours.

Hiver de Beauvoir, ajoutant quelquefois des annotations, le fait en érudit elliptique s’adressant exclusivement à des érudits. Le lecteur, même cultivé, ne s’y retrouve guère ; j’ai donc tenté d’éclaircir de mon mieux le contenu de chaque ouvrage lorsqu’il n’allait pas de soi. Les « traductions » du moyen français et les notes diverses entre crochets dans le corps des notices, ou situées après celles-ci, sont toutes de mon fait.

 

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*Le mot de « librairie » (du latin « librarius », puis de l’ancien français « librarie »), on le sait, avait trois sens : la bibliothèque en tant que lieu où les livres sont déposés ; ensuite le commerce de ces livres ; enfin le magasin où ils sont entreposés. Au XVIIe siècle, il perd sa première signification, au profit de « bibliothèque ».

 

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La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416

 

Théologie

Écriture sainte

 

 

« 1. Une très-belle Bible en latin, escripte de lettre boulonnoise [écriture de Bologne, en Italie, l'italique, donc], qui fut du roy Robert, jadis roy de Secille [Robert d’Anjou (1277-1343), roi de Naples (c'est-à-dire du royaume de Sicile (« Secille ») non insulaire lors de la séparation des Royaumes)], très-bien historiée [ornée de miniatures] et enluminée d’ouvrage roumain [romain, que l’on distinguait de l’ouvrage lombard], et au commencement du second fueillet a escript : One usque ad AEgiptum ; couverte de cuir rouge empraint [orné de dessins en creux imprimés à froid ou à chaud par des fers], à iiij [quatre] fermoers d’argent doré, esmaillés aux armes de Mons.[eigneur] ; et pardessus a une chemise de damas bleu doublé de tiercelin [tissu de trois espèces de fils, souvent utilisé pour les ornements d’église] vermeil ; laquelle Mgr d’Orléans donna à Mons. le xviije jour d’aoust l’an mil cccc vij [18 août 1407]._ 250 liv. »

« Mgr d’Orléans » est certainement Louis Ier d’Orléans, frère de Charles VI et père de Charles d’Orléans, assassiné le 23 novembre 1407 à l'instigation de son cousin Jean sans Peur.  Il est question de sa mort dans la notice suivante.

 

 

« 2. Une belle Bible en latin, escripte de lettre boulonnoise, très-bien historiée et enluminée d’ouvrage roumain, et au commencement du second fueillet a escript : Spondet, et pardessus les fueillets à escussons paints aux armes de feu pape Clément de Genève [Robert de Genève (1342-1394), l’antipape ou pape d’Avignon Clément VII (1378-1394)], et de celles de Mons. ; couverte de veluyau [velours] brodé, fermant à iiij fermoers d’argent doré, esmaillés aux armes de Mons. ; et pardessus a une chemise de drap de damas bleu doublé d’un tiercelin vermeil ; laquelle avait été de Mons., et a été recouvrée après le trepas de feu Mgr d’Orléans._ 375 liv. »

 

(à suivre.)

 

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Priant (XVe s.) de Jean, duc de Berry (1340-1416), détail,
dans la cathédrale Saint-Étienne de Bourges,
photographie : juin 2014.