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vendredi, 20 février 2015

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (42)

 

 

 

Introduction.

 

 

 

 « 93. Un gros volume, escript en françois de lettre de court, auquel sont contenus les livres qui s'ensuivent ; c'est assavoir : le Livre des propriétés des choses, le Livre de l’Istoire de Thebes, le Livre de l’Istoire de Troyes, le Livre d’Orose, le Livre de Lucan, le Rommant de la Rose, le Testament de maistre Jehan de Mehun, le Trésor et le Testament dudit maistre Jehan de Mehun, Boesce de consolation, Matheole et autres livres, et en derrenier est le Viandier Taillevent ; et au commencement du second fueillet est escript : En espal ; et est couvert de cuir rouge empraint, à quatre fermoers de cuivre et cinq gros boulions de mesme sur chascun ais ; lequel volume mondit seigneur acheta au mois de may mil cccc iiij [mai 1404] de maistre Regnault du Montet la somme de deux cens escus d'or._75 liv. »

 

Ce livre réunit des ouvrages très divers, du poème au livre de cuisine, en passant par des ouvrages d'apologétique.

 

Dans l’inventaire du duc figuraient déjà, comme mon attentif Lecteur a pu le lire, des manuscrits du Livre des Propriétés des choses, du Roman de la Rose et du Testament de Jean de Meung.

 

La Consolation de la philosophie (vers 524), de Boèce, fut traduite en français par Jean de Meung. Le livre figurait également dans la bibliothèque de Charles d'Orléans, à Blois.

 

Le Roman de Thèbes est un roman écrit par un clerc anonyme vers 1150. Récriture du mythe d'Étéocle et de Polynice, les frères ennemis, fils d'Œdipe, il est l’un des plus anciens romans français.

 

Le Roman de Troyes ou Roman de Troie est un poème de Benoît de Sainte-Maure, composé vers 1160-1170. Comme d’autres écrivains dans l'entourage d'Henri II Plantagenêt et d'Aliénor d'Aquitaine, le poète adapte en français (il « met en roman ») les livres majeurs de l’Antiquité. Benoît de Sainte-Maure transforme les héros grecs et troyens de la guerre de Troie en chevaliers du Moyen Âge, entremêlant son récit des amours impossibles de Jason et de Médée, de Pâris et d'Hélène, de Troïlus et de Briséida, d'Achille et de Polixène. Dès le préambule, le poète déclare qu’il suivra de préférence non pas Homère, mais Darès le Phrygien, parce que l’Aède grec a rempli son poème de fables en faisant combattre les dieux et les déesses.

 

Le Livre de Lucan est une traduction des Vies des douze Césars de Suétone, comme l’indique un livre que nous verrons plus loin (notice 130).

 

Matheole désigne les Lamentaciones Matheoluli : Mathieu de Boulogne (appelé également Mahieu le Bigame, Matheolus, Matheolulus, Matthaeus Bononiensis, Matthieu de Boulogne-sur-Mer, Matheolus de Boulogne-sur-Mer, Mathieu de Boulogne-sur-Mer, ou encore Petrus Matheoli alias Nazardus ou Nasardus !) (vers 1260-vers 1320) est l’auteur de ces Lamentations (écrites entre 1295 et 1301), 5614 hexamètres rimés contre la femme, violente diatribe misogyne que critiquera Christine de Pisan dans sa Cité des dames. Le livre fut traduit en français par Jean Le Fèvre de Ressons (vers 1320-mort après 1380), procureur au Parlement de Paris et auteur du Livre de Leesca, qui prend l’exact contrepied des Lamentations de Mathéole, et qui figure peut-être dans les « autres livres » mentionnés dans la notice.

 

Quant au Livre d'Orose, il s’agit d’une traduction de Paul Orose (vers 380-mort après 418), prêtre et apologiste qui composa, à la demande de saint Augustin qui rédigeait alors La Cité de Dieu, ses Histoires contre les païens, censées raconter tous les malheurs du monde depuis Adam et prouver que le sac de Rome par Alaric, en 410, n’était pas une conséquence de l’adoption du christianisme et de l’abandon des anciens dieux par les autorités impériales : on avait été tout aussi malheureux auparavant, depuis les origines du monde, démontrait Paul Orose.

 

Enfin, le Viandier Taillevent est un livre de recettes, le plus ancien livre de cuisine français, attribué à Guillaume Tirel, dit Taillevent (vers 1310-1395), cuisinier des rois de France Charles V et Charles VI. Nous connaissons cependant un manuscrit plus ancien (dit « de Sion ») : celui-ci, daté de la première moitié du XIVe siècle, indique que l’attribution du livre à Guillaume Tirel est postérieure à son élaboration.

Voici quelques exemples de recettes du XIVe siècle, tirées du Viandier :

 

Cuisiez en vin et en eaue des foyes, des jussiers de poulaille, ou de chair de veel ; puis la hachiez bien menu, et frisiez en sain de lart, et puis broyez gingembre, canelle, giroffle, grainne de paradiz, et destrempez de vin, verjus et boullon de beuf, et du boullon mesmes des foyes, juisiers et veel, et des moyelz d'aeufz grant foison ; et coulez dessus vostre grain, et faictes bien boullir ensemble ; et y mettent aucuns ung pou de pain et de saffran ; et doibt estre bien lyaut, sur jaune couleur, aigret de verjus, et, au dressier par escuelles, mettez dessus pouldre de canelle.

(Faites cuire dans du vin et de l'eau des foies et des gésiers de volaille, ou de la viande de veau, puis hachez menu, faites frire dans du sain de lard et broyez du gingembre, de la cannelle, des clous de girofle et de la graine de paradis, puis détrempez de vin, de verjus et de bouillon de bœuf, ainsi que du bouillon des foies, des gésiers et du veau, et ajoutez de nombreux jaunes d’œufs, puis ajoutez à votre grain et faites bouillir tout ensemble ; certains ajoutent un peu de pain et de safran ; cela doit être très lié, de couleur jaune, au jus acide, et au moment de servir dans les assiettes, ajoutez de la poudre de cannelle.)

 

Et pour ris, prenes du ris et le laves, et prenez du layt de Vache ou damandes plumees et le lait de vache faictes boulir qui soit cuit et mettes ung bien peu de saffran pour luy donner couleur et du sel pour gouter.

(Et pour le riz, prenez du riz et lavez-le, puis mettez-le à cuire dans du lait de vache ou d'amandes décortiquées, et mettez un peu de safran pour la couleur, et salez.)

 

Et pour faire oyes a la trayson mettes les oyes haller en la broche et quant elles seront hallees mettes les souffrire en ung pot et mettes en sain de lart et en bouillon de beuf et prenez  canelle graine et clou de girofle et broyez se les Espices ne sont bien batues et mectes les espices dedans le pot au souffrire et du sucre assez raisonnablement, et prenes ung pou de pain et des foyes de poulaille et les mettes tramper en bouillon de beuf et de la moustarde assez raisonnablement et coulez et mettez au pot et bouillez tout ensemble et goutez de sel ainsi quil appartiendra.

(Et pour faire des oies à la trayson (trahison ? [c'est bien ainsi que l'on écrit ce mot en moyen français]), mettez-les à dorer à la broche, et quand elles seront bien dorées, mettez-les dans un pot avec un sain de lard et du bouillon de bœuf, broyez de la cannelle, des graines et des clous de girofle et mettez-les dans le pot avec un peu de sucre, et prenez un peu de pain et des foies de volaille et mettez le tout dans le bouillon de bœuf avec un peu de moutarde, et faites bouillir tout ensemble et salez comme il se doit.)

 

(à suivre.)

 

 

Commentaires

Toujours aussi passionnant, cet inventaire ! Vous avez dû passer du temps à tout explorer ainsi dans le détail ! Je vous admire pour ce travail d'érudit !

Les Lamentations de Matheole et le Livre de Leesca pourraient sans doute être republiés, ce serait intéressant, je pense de relire les arguments des deux bords, dans le contexte de l'époque !

Quant au livre de recettes, celles-ci n'ont plus qu'à être essayées, avec la cannelle et autres épices à volonté !

Écrit par : Madame Uke | vendredi, 20 février 2015

Merci, toujours, de votre intérêt, chère Madame !

J'ai pu lire quelques passages des Lamentations et, pour tout vous dire, la lecture est assez ennuyeuse... Quant au Livre de Leesca, je n'ai pu en trouver quelque extrait. Cela dit, je suis d'accord avec vous : il serait intéressant de connaître, par un résumé, ce que disent l'un et l'autre livre sur la femme ; son image selon le regard des hommes à la fin du Moyen Âge en serait éclairée.

Quant au Viandier, je me souviens d'un professeur de littérature médiévale, un peu farfelu et très brillant, qui, à l'Université, nous fit goûter des plats préparés à la façon de Guillaume Tirel : c'était très riche, très fort en bouche, extrêmement épicé (comme aujourd'hui certains plats que l'on déguste dans les restaurants indiens), presque écœurant ! Mais rien ne vous empêche d'essayer...

Écrit par : Frédéric Tison | vendredi, 20 février 2015

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