Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 10 juin 2020

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Béatrice Marchal

_____

 

  

La Cloche de tourmente

 
Quand le brouillard sur le plateau se fait
épais et que disparaît tout repère
les deux femmes tombées dans la neige non loin
de l'école reviennent hanter les mémoires
et du hameau tinte longtemps par intervalles
une cloche au son clair qui redonne la force
à qui désespérait de retrouver
son chemin et de s'abriter,
 
cloche de tourmente
remontée d'un continent englouti
d'hommes simplement soucieux de porter une aide
et d'accueillir auprès de leur feu, à leur table,
d'autres hommes dans le besoin,
 
cloche de tourmente
que donnent à entendre
de rares voix que les années n'ont pu fêler
ni le coups reçus par grand gel.

 

 
 
Béatrice Marchal, La Cloche de tourmente
éditions Cahiers de poésie verte, collection Trobar, 2014, p. 26,
Prix Troubadours 2014.
 
 
 
 
  

 

 

vendredi, 01 février 2019

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Michel Passelergue

_____

 

 

 
Votre silence, oui, je l'attends. Au plus épais du sang, au plus noir de ce qui remâche cendre et devenir. Je l'attends, pour l'envelopper de mots tièdes, presqu'étouffés, qui me feront connaître un peu de ses lointains avant d'éveiller sous la paupière le feu et l'inquiétude. Si j'ouvre avec lenteur la très fine écorce de nos nuits, il me vient votre silence — là, comme une vrille, entre frayeur et sommeil, qui percerait ma mémoire enneigée. En lui, contre ce temps devenu friable, s'éboule une lumière à peine gonflée par l'eau qui tourne et retourne sa folie, tandis que passe d'un œil à l'autre la même intuition d'être, depuis des rives à jamais perdues. Nous allons ainsi, silence contre silence, frôlant le brouillard avec l'oubli, cueillant ça et là quelques lampes assoiffées. Et ma main sur le papier ne fait que fuir, sous tant de vitres à l'infini questionneuses, la blancheur qui vous retient.

 

 
 
Michel Passelergue, Lettres à Ophélie
éditions L'Arbre à paroles, 2006, p. 21. 

 
 
 
 
 

 

samedi, 26 janvier 2019

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Paul Farellier

_____

 

 

Encore un vent de sable sur les épaules
et cet obscur porté à même la peau,
je reviens vers vous parfois, les nuits d'été,
échanger présence et monnaie de lumière.
 
Ce n'est qu'une courte halte, n'ayez crainte,
le temps simple de rire dans nos regards ;
puis je repars pour les menées d'un hiver
avec cet avenir qui durcit le ciel.

 

 
 
Paul Farellier, Dans la nuit passante,
éditions L'Arbre à paroles, collection Traverses, 2000, p. 46,
repris dans L'Entretien devant la nuit, Poèmes 1968-2013, Les Hommes sans Épaules éditions, 2014, Grand Prix de poésie de la SGDL 2015,
p. 448.
 
 
 
 
 
 
 

vendredi, 25 janvier 2019

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Pierre Perrin

_____

 

 

Sur le chemin des syllabes, rocailleux, abrupt, un jour le vent se lève, la voix chante et le poète se découvre aussi à l'aise dans sa langue qu'on peut l'être dans sa peau. Il n'écrit pas une leçon ni pour sauver quoi que ce soit ; l'oubli est partie intégrante de la vie ; il écrit pour le plaisir de donner, quand même la communication poétique reste solitaire. Le poète à maturité ne se demande pas d'où lui arrive la voix ; il travaille de son mieux la merveille et l'épouvante, le dégradé entre les deux et il respire ; il fend l'air de son existence. Le poème vit tel un arbre qui grandit, pourrit ou qu'on débite et qui finit au feu. Peu importe à celui que le souffle emporte, immobile même si la beauté préfère l'engouement et le partage.
 
 
 
 
Pierre Perrin, La Porte et autres poèmes, [un choix pour Montmeyan], photographies de Christine Perrin, éditions Possibles, 2018, p. 30.
 
 
 
 
 
 
 

mardi, 22 janvier 2019

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Claudine Bohi

_____

 

 

on n'a pas dénoué le bleu
posé au fond des jours une pierre une
ancre pour tenir retenir ce courant
ce flot qui nous submerge qui envahit
qui emporte nos bras avec nos corps
dans la violence du quotidien nos cœurs
ne font que rebondir furieux secoués brisés
jetés trop vite sur des rêves trop courts
dans des jardins sans porte où l'on bascule
où l'on peut seulement crier hurler tailler
dans les cris de quoi construire un chant
à la mesure des lèvres qui sont faites pour ça
pour embrasser aussi pour se taire à la fin
pour s'ouvrir sur le vide et tout recommencer
 
 
 
 
Claudine Bohi, On n'en peut plus,
in Même pas, suivi de On n'en peut plus,
éditions Le Bruit des autres, 2010, p. 81.
 
 
 
 
 
 
 

dimanche, 20 janvier 2019

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Jean-Paul Hameury (1933-2009)

_____

 

 

Roulé dans les vagues d'une mer sans nom
et promis aux abîmes d'Hadès
nulle chouette alors autour de moi
mais un peuple gris de goélands
je me souviens d'une esclave, de son oreille
nichée dans la forêt de ses cheveux,
oreille toute semblable à celle
de Pénélope où si souvent, jadis,
je glissais une langue furtive.
A cet instant, les dieux oublièrent
mon sillage une grève me fut donnée.

 
 
 
Jean-Paul Hameury, Ithaque et après,
éditions Folle Avoine, 1993, p. 51.
 
 
 
 
 
 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Gabrielle Althen

_____

 

 Neige

 
Attente évacuée
Ciel plus lourd que la ville même
Le centre du jardin
Coïncide avec celui de mon silence
Nous habitons cet œil immense
Et tout à coup dans le soir qui commence
Devient sensible
Qu'il faut un centre pour aimer

Un centre rejoint l'autre
Le lent sourire alors de cette gravité !

 

 
 
Gabrielle Althen, Soleil patient,
éditions Arfuyen, 2015, p. 57.
 
 
 
 
 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

En guise d'introduction

 

 

« La plupart des gens ont de la poésie une idée si vague que ce vague même de leur idée est pour eux la définition de la poésie. » À ce constat toujours renouvelé de Paul Valéry s'ajoute aujourd'hui le fait (est-il cependant si nouveau ?) que la poésie française de qualité est très peu lue, voire mise sous le boisseau, sinon dans des cercles très étroits qui, d'autre part, sont hélas bien souvent étanches les uns aux autres.

On a trouvé toute sorte de raisons à cette désaffection : l'époque est tout entière dans la vitesse, le morcèlement et l'absence de concentration (tandis que la lecture, la lecture de poèmes en particulier, suppose quelque lenteur), la poésie intimide, la poésie ne s'ouvre pas assez à d'autres expressions propres à l'époque contemporaine (avec, en filigrane, toujours, ce dessein, naïf, de "dépoussiérer" la vieille dame comme on veut ailleurs "dépoussiérer" Bach et tout l'opéra, comme si Homère, Dante et Villon étaient couverts de poussière !), etc. Le diagnostic à mon sens est parfois juste, parfois inexact, certainement trop court, tout regard étant à jamais insuffisamment éloigné de son propre temps.

Je vois une autre raison : le nombre. Il se publie chaque année des centaines de livres ou de plaquettes de poésie, et le lecteur le plus affûté, le plus inlassablement curieux, serait bien en peine de les découvrir tous, encore moins de tous les distinguer ; il erre dans cette bibliothèque mouvante plus périlleusement encore que le prince parmi la forêt des ronces qui encerclent le château de la Belle au bois dormant. Nombre de lecteurs, peut-être moins avertis, se seraient-il vite découragés, et auraient-ils alors rebroussé chemin ? C'est bien possible.

Errant, le lecteur passe sans le savoir à côté de pages magnifiques, de pages curieuses, de pages fécondes (ou simplement de pages intéressantes), lesquelles témoignent d'une vitalité de la poésie de notre temps — Combien de fois nous sommes-nous avisés tardivement d'un livre passé inaperçu, et, comme la plupart de ceux qui sont publiés aujourd'hui, tombé dans l'oubli au terme de quelques semaines ! 

J'aime les florilèges, les anthologies, les revues de poésie, qui sont de merveilleux orpailleurs. Il me semble que chaque lecteur amoureux peut s'ajouter à eux, et verser les quelques pépites qu'il aura décelées ici et là, lesquelles donneront peut-être à d'autres lecteurs le désir de découvrir ce que le fleuve charriait, et que leurs mains, inévitablement trop petites, n'avaient pu tamiser.

Lors je me propose ici de faire découvrir, d'une manière totalement subjective (il s'agira du panorama partiel de mes lectures), quelques écrits de poètes contemporains — et de les faire découvrir sur un blogue, c'est-à-dire sur un support à la fois inéluctable aujourd'hui (ces pages virtuelles permettent une diffusion véritablement nouvelle) et éphémère (ces pages seront noyées, elles se seront totalement abîmées dans trente ans (Nous ne nous méfions pas assez du numérique en lui confiant notre mémoire.)). J'ai croisé personnellement certains de ces poètes dans le monde, je les rencontre encore et quelques-uns sont mes amis ; d'autres, bien plus nombreux bien sûr (et certains sont morts), ne me sont connus que par leurs livres ; il va de soi que mes choix ne sont pas dictés par ces hasards, mais seulement par le désir d'un partage — celui de la beauté, celui de la curiosité, celui de « l'enfant d'une nuit d'Idumée ».

 

 

F L O R I L È G E

 

 

 

 

12:38 Écrit par Frédéric Tison dans Pages dans la forêt | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Isabelle Lévesque

_____

 

 

La douleur étonnée facilite les rondes
que nous dansions
(autrefois).

Il faut
composer
les vers, les ballades un pantoum oublié,
réinventé sans cesse dans ta voix
où défaillent les ombres.

Nous avons les nuits
(mille moins une)
pour
désapprendre,
vivre un sol absent.

 
 
 
Isabelle Lévesque, « Ici, aux Andelys »,
in Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut, La Grande Année,
éditions L'Herbe qui tremble, 2018, p. 101.
 
 
 
 
 
 

lundi, 23 décembre 2024

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

 

 

Pages dans la forêt — Aperçus de la poésie française contemporaine

En guise d'introduction

 

 

Odile Cohen-Abbas

_____

 

 Danseurs

 
 
Sept chats longs, ces feux-là comme varans,
dévoient des déplacements en flammes,
communément des sphères.
« Apprenti feu ! »
crie un rayon de cercle.
Cages de médianes, de
diagonales,
décollements, raccordements de crânes,
séries des râbles et des queues.
Muscles, mues propres,
vitesse.
Au travers, 
multiplications des diamètres
ayant partie liée avec les noms transcrits,
prélèvements d'échantillons
entre le bas-ventre et la tête.
Questions, élancements,
en touffes blanches ignées,
turbots de semence
à plein rendement de jeux.
Proies de proies
en plein vol !
Losanges de doigts, de jambes,
nus de haute couture
à grands branles l'un de l'autre.
Au premier rang dans la salle,
leur monde nouveau d'entre leurs dents
vomi avec la langue et les arêtes des sauts.
Un spectateur chargé d'éveil
dans ses trous chauds de siège.
Chats-sauts à rabatteurs de flammes
et qui, à l'inverse, se taisent,
longs comme des phalanges de femme.
Cercle à éclairages,
à flambeaux vertébraux.
Spectacle en course.
Sept fois sept chandelles giratoires,
claquements de langue de candélabres,
annulés, annelés,
comme sept longs fleuves calcinés.

 

 
 
Odile Cohen-Abbas, Les Rires fous d'AlefBêt...
éditions Librairie-Galerie Racine, 2016, p. 54-55, 
repris dans Long feu aux fontaines, Les Hommes sans Épaules éditions, 2018, p. 158-159.