vendredi, 06 décembre 2013
Entretien avec Jean de Rancé - Sur "Le Lai de l'Ombre"
Jean de Rancé. -. Voici, cher Frédéric Tison, que vous publiez – cette année 2013 vous est décidément propice ! – une nouvelle traduction du Lai de l’Ombre, de Jehan Renart, dont vous avez confié l’impression aux soins de Lulu.com, l’imprimeur en ligne. Pourriez-vous nous parler de ce livre ?
Frédéric Tison. -. Très volontiers, cher Jean de Rancé. Le Lai de l’Ombre est un magnifique conte courtois, en vers, écrit en ancien français, vers l’an 1222, par quelqu’un qui se fait appeler Jehan Renart : ce dernier est sans doute un homme haut placé, peut-être un évêque comme vous le lirez dans mon introduction, ne désirant pas publier, sous son vrai nom, un texte qui comporte quelques passages un peu lestes, sans parler d’une liberté de ton fort éloignée des évangéliaires et des psautiers. Il s’inscrit dans la belle tradition – laquelle était, oui, déjà une tradition, au XIIIe siècle – du fin’amor, l’amour pur, l’amour chevaleresque entre une belle dame sage et un chevalier de rang inférieur, cet amour courtois qui inspira tant de songes, d’images et de désirs. Jehan Renart joue avec cette tradition, il l’aime, et il la respecte, mais il lui insuffle un air nouveau, avec l’ironie et le rêve. Je connaissais ce lai depuis quelque temps déjà, mais je l’ai relu ces dernières années, tandis que j’écrivais les poèmes des Effigies, mon dernier livre, dont il a inspiré, pour une part, l’un des poèmes : quelqu’un, dans Les Effigies, a lu Le Lai de l’Ombre, et il m’a semblé plaisant d’en proposer une traduction nouvelle en un livre qui serait alors l’un des « satellites » du livre de poèmes, à l’instar du carnet de photographies mien que nous évoquâmes naguère.
J. de R. -. Un autre satellite !
F. T. -. Je ne saurais réduire le bel ouvrage de Jehan Renart à la qualité de satellite de l’un de mes propres livres, naturellement, mais ce Lai de l’Ombre trouve en moi des échos si profonds qu’il m’aurait semblé dommageable de ne pas les écouter. J’aime beaucoup trouver des passerelles entre les livres, entre les siècles. Songez à Borges, qui, dans ses Fictions, imaginait un auteur contemporain ayant influencé un auteur du passé…
J. de R. -. Vous proposez là de ce texte une nouvelle traduction de l’ancien français. Pardonnez-moi cette question, mais quel médiéviste êtes-vous pour vous être lancé dans une telle entreprise ?
F. T. -. Votre question est légitime. Je ne suis pas du tout un « médiéviste », ni un professeur d’ancien français, mais, il y a bientôt vingt ans, j’ai, à l’Université, étudié durant trois années cette langue, ce qui m’a beaucoup plu, et, depuis, j’ai plaisir à lire dans le texte des écrits des XIIe et XIIIe siècles, armé, naturellement, d’un lexique et d’un dictionnaire ; je ne parle pas couramment l’ancien français, bien sûr ! Je sais cependant frayer mon chemin à travers ces ronces françaises. Et puis, m’étant piqué d’éditer, naguère, des textes français du XVe et du XVIe siècle (Charles d’Orléans, puis Maurice Scève et Étienne Dolet), je ne pouvais pas, en faisant cela, ignorer l’ancien français qui précédait le « moyen français » dans lequel ces textes étaient composés. La mutation capitale, en langue française, a lieu au XIVe siècle ; il faudra que je m’attelle un jour à la traduction d’un écrit de cette époque, peut-être un poème de Jean Froissart, je ne sais, dont seules les chroniques sont connues du public cultivé d’aujourd’hui.
Pour revenir à Jehan Renart, si je ne prétends nullement, je le répète, être un spécialiste de la langue dans laquelle son beau lai a été écrit, j’en sais suffisamment pour ne pas me méprendre, et pour prétendre en proposer une traduction fidèle, dans la mesure du possible, et nouvelle, dans la mesure où cette traduction n’est ni « versifiée » (je n’aime pas beaucoup ces versions assommantes qu’on lit trop souvent, ces alinéas sans grâce ni rythme, fades, hagards, désossés, qui ressemblent trop à certains pseudo-poèmes contemporains) ni « arrangée » (il s’agit de ces versions qui élaguent l’original, et en gauchissent la trame et l’esprit en prétendant l’adapter au goût moderne).
J. de R. -. Pourquoi, de manière générale, éditer ces « textes rares et oubliés » ?
F. T. -. J’ai le souci, tout simplement, d’exhumer des textes qui me sont chers, et dont j’ai pu regretter l’absence, jadis, des librairies, voire des bibliothèques. Allez donc trouver une autre œuvre de Maurice Scève que la Délie, ou dénicher Le Second Enfer d’Étienne Dolet, et l’ensemble des Ballades du fameux concours de Blois organisé vers 1457 par Charles d’Orléans… Il m’a semblé souhaitable, d’autant que la démarche éditoriale que je me suis proposé est passionnante, de les proposer de nouveau. Je les accompagne, d'autre part, de petites notes qui sont autant de réflexions miennes sur le poème, l'image et le temps.
J. de R. -. Si ces textes sont oubliés aujourd’hui, n’y a-t-il pas une raison à cela ? Pensez-vous vraiment que ces éditions nouvelles trouveront un public ?
F. T. -. Tout d’abord, je pense que ces textes sont d’admirables écrits, et je propose seulement de les faire découvrir. Libre à quiconque de s’y pencher comme je m’y suis penché, ou de passer son chemin.
Il ne s’agit pas, ensuite, d’éditer à tout prix n’importe quel texte rare – il en est de rares et d’ennuyeux, justement oubliés – mais au contraire de déceler les tombés des rayonnages, comme on dit de personnages de l’histoire pourtant fascinants qu’ils sont tombés des dictionnaires, et d’injustement tombés : la tâche est immense, et je ne fais là que prendre part, à mon sens, à ce qui prendra de l’ampleur ; je ne suis qu’une petite fourmi, solitaire et vaillante. Je fais là pour des auteurs anciens ce que devraient faire tous les éditeurs de métier pour les écrivains de notre temps : s’attacher au texte, non à la connaissance personnelle de l’homme, tenter de trouver, ou retrouver des voix.
Évidemment, mon entreprise manque de relais ; je suis cependant certain qu’elle trouverait un écho auprès de personnes qui n’en sont pas informées. Il est simplement dommageable que je n’aie pas de moyen de diffusion autre que ce blogue et l’annonce ici ou là, sur quelque réseau social. Comme tous mes livres, mes petites éditions sont des bouteilles à la mer.
J. de R. -. Pourriez-vous nous résumer Le Lai de l’Ombre ?
F. T. -. Surtout pas ! Je laisse au Lecteur la joie de découvrir ce conte exquis, et sa fin délicieuse… Je répèterai ce que j’ai écrit sur la quatrième de couverture : « En dévoiler la fin [du Lai de l’Ombre], sinon l’intrigue, dès la quatrième de couverture, serait une trahison pire que toutes les traductions possibles ».
J. de R. -. Comment donner à nos lecteurs l'envie de découvrir votre nouvelle traduction du Lai de l'Ombre ?
F. T. -. Ma parole est une invitation, cependant elle n'est pas prescriptive ! Je puis seulement dire : Cela est magnifique, voici ce que je vous propose. À vous de voir.
Songez également qu'en 1222, 1 ou 2% seulement de la population (le cercle très étroit des lettrés, dans les monastères, et celui, moins cultivé, des châtelains et de leurs cours, où, à défaut de toujours savoir lire, on pouvait entendre réciter quelque conte) avaient accès au Lai de l'Ombre et étaient susceptibles de s'y intéresser. Aujourd'hui, en 2013, même s'il a changé de nature sociale, le pourcentage de lecteurs potentiels, à la fin, demeure le même. Ne trouvez-vous pas la coïncidence amusante ?
Jehan Renart, Le Lai de l'Ombre. Édition de Frédéric Tison (présentation, transcription de l'ancien français, traduction, notes, illustrations). Lulu, 2013. 168 pages.
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06:50 Écrit par Frédéric Tison dans Entretiens, Une petite bibliothèque | Tags : frédéric tison, jean de rancé, entretien, le lai de l'ombre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
Une autre Ombre
Auguste Rodin (1840-1917), L'Ombre (1902, bronze, fonte par Alexis Rudier), détail,
Musée des beaux-arts d'Orléans, photographie : octobre 2013.
06:49 Écrit par Frédéric Tison dans Centre, Musée d'un regard, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, auguste rodin, l'ombre, détail | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
mercredi, 04 décembre 2013
En situation (Interlude)
Pierre Roche (1855-1922), L'Effort (vers 1898), jardin du Luxembourg,
Paris, photographie : novembre 2013.
09:38 Écrit par Frédéric Tison dans Musée d'un regard, Photographies solitaires | Tags : frédéric tison, photographie, pierre roche, l'effort, jardin du luxembourg | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
mardi, 03 décembre 2013
Reflets en noir & blanc
Reflets, fontaine Viljot, dans la forêt de Tronçais, dans l'Allier,
photographie : août 2013.
Illustration en noir & blanc pour Le Lai de l'Ombre.
08:24 Écrit par Frédéric Tison dans Auvergne, Photographies solitaires, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, fontaine viljot, reflet, ombre, le lai de l'ombre, illustration | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
lundi, 02 décembre 2013
L'ombre de Claude Monet
Claude Monet, Autoportrait en ombre dans le bassin des nymphéas (photographie, vers 1920).
Exposition « Éblouissants reflets », musée des beaux-arts de Rouen,
photographie : septembre 2013.
11:25 Écrit par Frédéric Tison dans Musée d'un regard, Normandie, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, claude monet, autoportrait en ombre dans le bassin des nymphéas | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
dimanche, 01 décembre 2013
Une parution : "Le Lai de l'Ombre" de Jehan Renart (vers 1222)
Jehan Renart, Le Lai de l'Ombre. Édition de Frédéric Tison (présentation, transcription de l'ancien français, traduction, notes, illustrations). Lulu, 2013. 168 pages.
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Le Lai de l’Ombre est un conte courtois du début du XIIIe siècle, écrit dans cette langue qu’on nomme l’ancien français. Son auteur, sans doute un personnage haut placé, se fait appeler Jehan Renart ; il compose là l’une des plus belles histoires de courtoisie qui furent, en ces temps rêvés d’amour pur qu’on nomme « fin’amor ». En dévoiler la fin, sinon l’intrigue, dès la quatrième de couverture, serait une trahison bien pire que toutes les traductions possibles.
Cette édition propose le texte du XIIIe siècle et l’accompagne d’une traduction en prose annotée. Elle se veut également le « satellite » d’un livre de poèmes, Les Effigies, variations sur des ombres et des voix (Paris : Librairie-Galerie Racine, 2013), dans lequel quelqu’un a lu Le Lai de l’Ombre.
(Quatrième de couverture - auto-édition Lulu, automne 2013.)
11:43 Écrit par Frédéric Tison dans Livres parus, Une petite bibliothèque | Tags : frédéric tison, jehan renart, le lai de l'ombre, traduction, fontaine viljot | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
Le corps
Lubin Baugin (1610-1663), Le Christ mort pleuré par deux anges (vers 1660), détail,
Musée des beaux-arts d'Orléans, photographie : octobre 2013.
10:56 Écrit par Frédéric Tison dans Centre, Musée d'un regard, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, lubin baugin, le christ mort pleuré par deux anges, détail | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
samedi, 30 novembre 2013
Le passé de Pétrarque
Lorsque je me promène dans une belle ville, je pense souvent à Pétrarque : visitant Rome, en 1337, celui-ci prit plaisir à se promener parmi les ruines éparses de la Vieille Ville en compagnie d'un guide, un frère franciscain de la famille des Colonna. Le poète du Canzoniere raconte, dans l'une de ses Épîtres familières, comment il trouvait des indices du passé en lisant les inscriptions qu'on distinguait sur les pierres ; il se constituait également une collection de pièces de monnaie anciennes, qu'il considérait comme une galerie de portraits des empereurs romains. Mais, au XIVe siècle, de même qu'aux XIIe et XIIIe siècles les fragments des temples anciens servaient de fondations aux cathédrales et aux églises, on continuait de considérer les anciens édifices ainsi que des carrières ; et lorsqu'on ouvrait les rues et découvrait des statues anciennes, on jetait sans vergogne ces dernières dans des fours à chaux, au point que, bien tardivement, hélas, deux papes durent taper du poing sur la table : le 28 avril 1462, Pie II émit une bulle qui protégeait notamment les monuments autour du Capitole, le Forum et le Colisée, et plus tard le pape du Concile de Trente, Paul III, prit l'initiative de remettre en vigueur la peine de mort, datant de la Rome antique, contre ceux qui s'aviseraient de considérer de semblables merveilles comme de simples matériaux de construction. Même si je sais que jamais la beauté n'est vainqueur, parmi les hommes et les sociétés, de l'utile et du nécessaire, je ne cesserai pas de m'étonner devant tant d'aveuglement et tant d'irrespect, dont nombre d'architectes modernes sont la contemporaine incarnation, qui défigurent nos villes et nos villages. Au moins, sans doute, leurs prédécesseurs avaient-ils l'excuse relative de prétendre construire plus beau que l'ancien, car leurs réalisations furent au moins aussi belles. Ainsi je pense à Pétrarque qui vit de ses propres yeux, il y a seulement sept cents ans, des trésors qui, de son temps, dataient d'au moins mille trois cents ans, et j'essaie de retrouver son regard lorsque dans sa belle correspondance il évoque la beauté de lieux qui pour nous ne sont plus que des ruines arasées, plus ou moins bien reconstituées. Ainsi dans une belle ville je ne puis jamais m'empêcher de songer aux belles ruines qu'elles seront en l'an de grâce 2150 ou 3013, et devant lesquelles un autre garçon que moi écrira quelques lignes qui ressembleront aux miennes, ici. Peut-être pensera-t-il à moi, qui sait ?...
18:12 Écrit par Frédéric Tison dans Crayonné dans la marge, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, minuscule, ruines, pétrarque | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
Le temps
Attribué à Nicolas Prévost (1603/1604-1670), La Mauvaise Fortune,
détail d'une peinture lacunaire provenant du décor de la Chambre de Porcie,
au château de Richelieu, disparu (XVIIe s.),
Musée des beaux-arts d'Orléans, photographie : octobre 2013.
11:09 Écrit par Frédéric Tison dans Centre, Musée d'un regard, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, peinture lacunaire, décor, château de richelieu | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
Ombres
Louis-Maurice Boutet de Monvel (1850-1913), Le Bon Samaritain (vers 1878), détail,
Musée des beaux-arts d'Orléans, photographie : octobre 2013.
10:14 Écrit par Frédéric Tison dans Centre, Musée d'un regard, Voyages et promenades en France | Tags : louis-maurice boutet de montvel, frédéric tison, photographie, le bon samaritain, détail | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
vendredi, 29 novembre 2013
Dans l'Oratoire
Détail d'un vitrail (1858) de l'Oratoire du château de Blois,
carton de Michel Dumas, par le maître verrier Claudius Lavergne,
photographie : novembre 2013.
19:40 Écrit par Frédéric Tison dans Centre, Musée d'un regard, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, vitrail, oratoire, château de blois | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
Nocturne
De la rue Jeanne d'Arc, la cathédrale Sainte-Croix (XIe-XIVe s.), à Orléans,
photographie : octobre 2013.
07:51 Écrit par Frédéric Tison dans Centre, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, orléans, rue jeanne d'arc, cathédrale sainte-croix | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
Diurne
La cathédrale Sainte-Croix (XIe-XIVe s.), à Orléans, photographie : octobre 2013.
07:51 Écrit par Frédéric Tison dans Centre, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, cathédrale sainte-croix, orléans | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
jeudi, 28 novembre 2013
Les pieds de Mercure
Attribué à Guy-Louis Vernansal (1648-1729), détail de L'Enfance de Bacchus (vers 1700-1710),
Musée des beaux-arts d'Orléans, photographie : octobre 2013.
13:16 Écrit par Frédéric Tison dans Centre, Musée d'un regard, Voyages et promenades en France | Tags : guy-louis vernansal, frédéric tison, l'enfance de bacchus, photographie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
Hommage à Gustave Le Gray
La plage du Havre, à la fin de l'après-midi, photographie : septembre 2013.
13:16 Écrit par Frédéric Tison dans Normandie, Photographies solitaires, Voyages et promenades en France | Tags : frédéric tison, photographie, le havre, plage, hommage à gustave le gray | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |