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Rechercher : grisaille

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (13)

 

 

 

 

Introduction.

 

 

 

 

« 27. Un Breviaire en deux volumes à l’usage de Paris, noté et richement historié, couvert de veluyau violet et figuré [orné de figures], doublé de satin noir, fermant à deux fermoers d’argent doré aux armes de Monseigneur ; et en l’un a une pippe d’argent._375 liv. »

 

« 28. Un Breviaire en deux volumes à l’usage de Paris, qui se commence au second fueillet après le Kalandrier [sic] : Sion montem ; couvert de drap de damas vermeil doublé de satin vermeil, fermant à deux fermoers d’argent doré aux armes de Messire Pierre de Navarre.

L’autre volume pareil dont le brief d’iceulx est en françois [l’ouvrage contient un résumé en français]._125 liv. »

 

Cet ouvrage était depuis peu dans la collection du duc, car il avait appartenu à Pierre de Navarre, comte de Mortain, fils du roi de Navarre Charles II (« Charles le Mauvais ») et ami fidèle de Charles VI. Né en 1366, il mourut à Sancerre le 29 juillet 1412 au retour du siège de Bourges.

 

 

« 29. Un Breviaire en deux volumes, où il a plusieurs histoires de blanc et de noir, couvert d’un drap de soye blanche, fermant chacun à deux fermoers d’or, les uns esmailliés aux armes d’Orléans et les autres à ymages [effigies, représentations diverses]._150 liv. »

 

Les enluminures et miniatures « de blanc et de noir », c’est-à-dire en grisaille, apparaissent en France par l’entremise de l’enlumineur Jean Pucelle, mort en 1334, et de son disciple Jean Le Noir, actif entre 1331 et 1380, qui sont peut-être les artistes ayant contribué à ce Bréviaire.

 

Voici une "miniature en grisaille" de Jean Pucelle, représentant une scène de la vie de saint Louis (saint Louis et les ossements de lépreux), tirée du Livre d'Heures de Jeanne d'Évreux (vers 1325-1328) conservé au musée des Cloîtres de New York :

 

 frédéric tison, la librairie de jean de berry au château de mehun-sur-yèvre, 1416

(Source.)

 

 

(à suivre.)

 

 

 

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samedi, 01 novembre 2014 | Lien permanent

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (40)

 

 

 

Introduction.

 

 

« 89. Un autre livre en françois, appellé le Pèlerinage de vie, qui se commence au second fueillet : Avecques son père Lucifer ; couvert de cuir vermeil, à deux fermoers de laiton, couvert d'une chemise de toile._15 liv. »

 

« 90. Un livre du Pèlerinage du corps et de l’ame, appellé le Pèlerin, escript en françois de lettre courant, historié au commencement et en plusieurs lieux de blanc et de noir [en grisaille] ; et au commencement du second fueillet a escript : Dedans lin et l’ame ; couvert de cuir vermeil empraint, fermant à deux fermoers d'argent blanc à deux tixus de soye noire._ [pas d’estimation]. » 

 

Il s'agit d'extraits d'une trilogie, comprenant Le Pèlerinage de la vie humaine (1330-1331), Le Pèlerinage de l'Âme (1355-1358) et Le Pèlerinage de Jésus Christ (1358), œuvre du poète et moine cistercien Guillaume de Digulleville (1295-après 1358). Le premier des manuscrits qui précèdent contient le premier des trois Pèlerinages, le deuxième le premier et le second.

S'inspirant du Roman de la Rose, Guillaume de Digulleville développe de façon allégorique le thème de l'homme voyageur (homo viator), sur le chemin des vices et des vertus, entre tentations et séductions. Il dira avoir eu la vision de la Jérusalem céleste et de ceux qui y pénètrent. 

 

(à suivre.)

 

 

 

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mercredi, 11 février 2015 | Lien permanent

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (39)

 

 

 

Introduction.

 

 

« 87. Un livre escript en lettre de fourme, auquel est le Roman de la Rose, le Livre de la Violette, le Livre de la Pencherie et le Testament de maistre Jehan de Mehun, bien historié et enluminé de blanc et de noir [en grisaille ; cf. notice 29] ; et au commencement du second fueillet a escript : Que joy après ; couvert de drap d’or, à deux fermoers d'argent doré, esmailliés l’un d'un demi-ymaige de Dieu, et l'autre d'un demi-ymaige de Notre Dame tenant son enfant ; lequel Mons. acheta la somme de cent vingt escus d'or comptant._100 liv. »

 

Outre le Roman de la Rose, commencé par Guillaume de Lorris (entre 1230 et 1235) et achevé par Jean de Meung (entre 1275 et 1280), ce livre contient Le Livre de la Violette ou Roman de Gérard de Nevers, par Gerbert de Montreuil, un poète du nord de la France ayant vécu à la fin du XIIIe siècle, continuateur de Chrétien de Troyes, et le Testament de Jean de Meung, recueil des dernières poésies de l'auteur (il s’agit de quatrains, suite de conseils destinés aux différents membres de la société). 

Le Livre de la Pencherie reste tout à fait inconnu ; est-ce une suite du Livre de la Violette, un livre perdu du Cycle arthurien ?

 

 

« 88. Un petit livre du Thrésor de maistre Jean de Mehun, de lettre de fourme, bien historié et enluminé, et au commencement du second fueillet est escript : Qui comme ; couvert de veluyau vermeil, à deux fermoers d'or tout plains ; lequel Mons. de Bavière [Étienne III, duc de Bavière (1337-1413), père d'Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI] donna à Mons._10 liv. »

 

C'est le Testament de Jean de Meung, ainsi intitulé dans beaucoup de manuscrits, et dont il est question ci-dessus.

 

 

(à suivre.)

 

 

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samedi, 31 janvier 2015 | Lien permanent

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (43)

 

 

 

Introduction.

 

 

« 94. Le livre appellé de Longue estude, fait et compilé par une femme nommée Christine, escript de lettre de court, historié de blanc et de noir [en grisaille], couvert de cuir vermeil empraint, à deux fermoers de cuivre et tixus de soye ; et au commencement du second fueillet a escript : De souverain sens ; lequel livre fut donné à Mons., en son hostel de Néele [l’hôtel de Nesle], à Paris, par la dessus dite Christine, le xxje [21ème] jour de mars l’an 1402._5 liv. » 

 

Christine de Pisan (1364-1430) est l’auteur de ce beau livre en vers, Le Chemin de Longue Étude (1403), dédié à Charles VI, et dont la trame générale s'inspire largement de La Consolation de la Philosophie de Boèce.

La narratrice, nommée Christine, raconte comment, alors qu’elle était seule et désespérée, elle reçut durant son sommeil, dans une vision, la visite de la Sybille de Cumes. Celle-ci l’entraîne dans un voyage extraordinaire (le « chemin de Longue Étude ») : Christine découvre le monde, les lieux bibliques et légendaires, elle s’approche du paradis terrestre dont l’entrée est toujours interdite, puis elle gravit, par le moyen d’une échelle, l’air, l’éther, le feu, l’Olympe et le firmament (les cinq ciels). Au firmament, elle assiste à un débat animé entre plusieurs Dames, personnifications de la Sagesse, de la Noblesse, de la Chevalerie et de la Richesse, au sujet du remède à apporter aux guerres incessantes entre les hommes et à leur cortège de malheurs et de destructions. Dame Raison, leur reine, décrète qu’il faut trouver un homme parfait à même de gouverner harmonieusement le monde. Chaque Dame plaide sa cause : Sagesse décrit l’homme parfait sous l’aspect de la bonté et du savoir incarnés, Noblesse souhaite que cet homme soit issu d’une illustre lignée, Chevalerie insiste pour qu’il soit preux et invincible, Richesse pour qu’il soit l’homme le plus riche du monde. Le conseil de Raison, malheureusement, ne peut trancher en faveur du héros de l’une ou l’autre Dame. C’est alors qu’il décide de confier la résolution du débat à une cour terrestre, la plus grande et la meilleure étant la cour de France (c’est l’évidence même). Christine sera chargée par la Sybille d’être la messagère de la cour de Raison auprès des princes français.

 

Le livre figurait également dans la Bibliothèque de Charles d'Orléans.

 

 

(à suivre.)

 

 

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mardi, 03 mars 2015 | Lien permanent | Commentaires (2)

Une lecture à Paris, le samedi 17 septembre 2016

 

 

Le texte qui suit est celui que je rédigeai pour présenter, dans l’atelier parisien de Marc Tanguy, lors des journées du patrimoine, le samedi 17 septembre 2016, des poèmes inspirés par des œuvres de Marc Tanguy, Damien Brohon et Sophie Courtant. Le ton se veut volontairement oral.


À cette occasion, trois cartes doubles furent éditées par la galerie Expression d’Aujourd’hui. Chacune de ces doubles cartes, en édition limitée à 30 exemplaires, signées et numérotées, comporte un texte original (dont ici ne sont reproduits que les premiers mots) et la reproduction de l'œuvre plastique qui l'a inspiré.

 

 

LECTURE
par Frédéric Tison

Atelier de Marc Tanguy, Paris XIX – samedi 17 septembre 2016

__________

 

 

Mesdames, Messieurs,

Merci pour votre présence en ces lieux.

Pour commencer, je remercie vivement Marc Tanguy de nous accueillir dans son bel atelier, qui ne peut pas offrir de meilleur écrin pour une lecture de cette sorte ! Et je remercie les deux autres artistes Sophie Courtant et Damien Brohon, ainsi que notre chef d’orchestre, Christophe Gohée.

 

Avant de commencer la lecture proprement dite, j’aurais voulu qu’on s’interroge sur la manière d’écrire sur une œuvre plastique. Je ne parle pas ici des essais sur l’art, de ceux de Daniel Arasse par exemple, qui sont des lectures érudites, historiques, universitaires, par ailleurs excellentes ; mais elles se situent délibérément dans le commentaire (même si celui-ci est interprétatif, c’est-à dire souvent créatif), et elles ne se posent pas véritablement comme des œuvres auprès d’une autre œuvre. Je ne parle pas non plus des appréciations pressées. Parfois, dire seulement « C’est beau » peut nous sembler insuffisant : c’est comme si l’on avait regardé l’œuvre d’une manière bien trop rapide, et ce regard rapide réduit l’œuvre à sa seule image aperçue de façon fugitive : mais comment dire la sensation, l’émotion qui nous saisissent à la vue de cette image, si nous l’aimons et si nous avons le désir de lui répondre, en quelque sorte, si nous avons le désir d’éclaircir en nous ce qui nous a troublé dans cette œuvre ?

 

Il m’arrive souvent d’inclure dans mes livres un écrit inspiré par une œuvre que j’aime, et je prendrai pour exemple celui-ci, extrait de mon livre Les Effigies :

 

___________________

 

SUR UN TABLEAU DE JAMES ENSOR

 

 

Aimerais-tu vivre dans le domaine d’Arnheim

Dans l’ombre lente et l’heure absolue des couleurs

Là le noir des sources

L’humide du rouge et le frissonnant de l’orange

Comme un jardin sombrement heureux là l’étonnement,

Ici le vaste du vent qui parle, là

Tes deux mains dans les branches

Le faste de ton manteau parmi les arbres

Ici l’appel, là le murmure des feuilles en flamme

Il n’y aurait rien, dans le domaine d’Arnheim,

Que tu ne saches aimer, rien dans tes regards

Que tu ne touches ni ne murmures à ton tour.

 

 

On aura remarqué que le titre de ce poème commençait par ces mots : « Sur un tableau de… ». Mais alors, doit-on dire que l’on écrit sur une œuvre, à partir d’elle, en pensant à elle, en rêvant à elle, en l’imaginant encore ?

*

 

Il y a des dessins, des toiles, des gravures qui furent composés à partir de sources écrites, et ils font alors souvent figure d’illustrations. Pourtant, sans effacer l’écrit qui les a inspirés, beaucoup savent créer à eux seuls tout un univers.

Et lorsqu’un poème s’inspire d’une source plastique, il me semble que la démarche est en miroir : l’écrit n’est pas destiné à illustrer l’image, mais il la suggère : elle est en filigrane dans chacun de ses mots.

Dès lors le tableau n’est nullement un prétexte.

Il ne s'agit donc pas d’écrire le commentaire d’une œuvre, ni d'en proposer la description ; il me semble qu’il s’agit de rêver sur l’image, en la regardant puis en s'en souvenant ; il s'agit, en quelque sorte, du récit d'un regard, lequel est propre à chaque écrivain, mais s'est attaché à respecter autant que possible l'esprit de chaque œuvre.

Il m’arrive de penser que seul un poème peut réellement, si j’ose dire, évoquer une image : les deux ne sont pas en concurrence, ils ne s’opposent pas. Au contraire : le poème offre une réponse possible à la question muette posée par l’image, et tous deux ensuite retournent à quelque silence, sur leurs supports respectifs.

Et puis, une image n’est-elle pas souvent (ou également) une histoire, le fragment d’un récit, un souvenir, une mémoire ? Le poème inspiré par elle offre à nouveau l’œuvre au regard, il invite à y retourner autrement.

*

 

Les frères Goncourt parlent du moment où un tableau « se lève » ; il s'agit du moment où une œuvre commence à nous parler, où notre regard se dessille devant elle ; devant les œuvres des artistes ici présents, quelque chose m'a immédiatement parlé, et si ces œuvres se sont levées pour moi, j’ai souhaité le traduire par un poème.

 

Je commencerai par le poème composé sur une gravure de Sophie Courtant :

 

 Sur une gravure de Sophie Courtant, Belle au bois, manière noire

 

Tu as suivi tes arbres jusqu’à cet autre jardin, celui qui surgit, qui bientôt luit où nos années gisent, où nos enfances sont ces combes et ces breuils.

 

[...]

 

 

Voici maintenant celui qui fut composé sur un dessin de Damien Brohon :

 

Sur un dessin de Damien Brohon, Dans la maison (Fenêtre II.)

 

Ce lieu de lueur et d’ombre où tu reviens, est-ce le tien ? Dans cette demeure sont cachées tes paroles, où se déploie le monde lorsque tu rouvres les yeux.

 

[...]

 

 

Voici, enfin, celui qui évoque la peinture de Marc Tanguy :

 

Sur une peinture de Marc Tanguy 

 

Entre dans ce regard

C’est un paysage où des fraîcheurs montent dans les couleurs éprises,

 

 [...]

 

 

J’ai commencé cette lecture avec un poème des Effigies ; permettez-moi de l’achever sur un poème du Dieu des portes, mon dernier livre paru, où cette fois le texte ne porte pas sur une œuvre en particulier, mais les évoque toutes, ou presque :

 

(Cahier II., XXVIII.)

 

Pour tes histoires dans ce livre tu choisiras l’huile, la gouache ou l’aquarelle n’importe, si naguère tu élus la seule grisaille afin de peindre les images qui figurent dans l’ouvrage de tes Heures. Et l’encre passera la fuite de tes ombres en ton cloître sous le soleil, en ta rue sous les étoiles.

Prends ton visage dans tes mains et porte-le sur la page blanche encore, sauve-le du miroir ! Chacune de tes couleurs est un vœu. Une touche de blanc dans tes yeux Tu es vivant.

 

 

Une remarque, pour

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samedi, 31 décembre 2016 | Lien permanent

Voyage en Chine (avril-mai 2019) — Notes de carnet, extraits (4)

 

 

Mercredi 24 avril 2019

(Deux heures du matin.)

(…)

Je ne lis guère, en voyage. Je feuillette plutôt les quelques livres toujours trop nombreux que j’ai emportés avec moi. C’est que les jours sont les pages d’un livre nouveau, profondément riche et neuf, et que, au fond, les livres tiennent peu (la plupart d’entre eux devrais-je écrire). Rares sont les livres qui furent de quelque utilité sinon à leurs propres auteurs, et encore !

Seule l’écriture importe. Elle ne saurait dépendre que de moi – c’est la seule chose sur laquelle j’ai quelque prise, dans l’instant, quand bien même tous les livres que j’ai écrits me semblent parfois dérisoires. Je me souviens d’avoir conservé sur moi, dans la poche intérieure de mon manteau, des semaines durant, un petit exemplaire de l’un d'entre eux, pour me protéger, pour me soutenir !

(…)

9 h 40. Nous quittons Shanghai pour la ville de Suzhou – quelques heures s’annoncent au sein de monstrueux embouteillages.

*

Halte à Lutzi, dans la banlieue de Suzhou, un joli petit village parcouru de canaux. Par endroits il y règne une odeur qui me soulève le cœur ; on me dit qu’il s’agit de tofu fermenté ; c’est abominable, une sorte de mélange lourd, gras et sucré de fromage, d’excréments et de putréfaction. Je me souviens qu’au Sri Lanka, en 2016, je découvris également des odeurs immondes, même si celles-ci l'étaient moins qu’ici ; moi qui n’aime que les odeurs fraîches et légères, je suis décidément peu fait pour les effluves de l’Orient ! Le village est constitué de petites maisons anciennes (du XVIIIe ? du XIXe siècle ? Les Chinois ne savent guère dater leurs monuments et leurs habitations de jadis) qui voient leurs rez-de-chaussée s’ouvrir sur de petites boutiques de vêtements et d’objets destinés aux touristes – mais l’ensemble n’est pas trop défiguré.

*

Beaucoup de Chinois, même les plus élégants, et même les Chinoises, crachent par terre.

J’ai lu naguère que, selon eux, c’est nous qui, en nous mouchant et en conservant sur nous quelque mouchoir imprégné, sommes parfaitement dégoûtants, tandis que leurs crachats consistent à se débarrasser d’une sanie corporelle.

*

Quelque chose d’indéfinissable me déplaît en Chine. Au fond, je m’y sens mal à l’aise. Je ne saurais attribuer cela à quelque chose en particulier. Il est vrai cependant qu’en dehors des quelques îlots de beauté que je visite, je traverse un pays plutôt laid pour l’instant, avec ses paysages dévastés par l’industrie, ses immenses villes de banlieues aux immeubles hauts et hideux, tous les mêmes, de vraies cages à lapins, tristes et grises. Dieu sait que j’ai vu, jeune professeur, dans les sinistres banlieues parisiennes, des lieux affreux, dépourvus de toute grâce – mais cela dépasse ici l’imagination. Certains architectes modernes ont véritablement enténébré le monde.

*

Mais je visite le Jardin du Maître des Filets, à Suzhou – jardin terrestre et céleste. Oh ! le Pavillon de la Lune : lorsqu’on s’y tient on y peut voir trois lunes : dans le ciel, dans l’eau, dans le miroir qui se dresse face à l’entrée du pavillon. La promenade dans le jardin est de toute beauté. Un petit enclos semble jardin dans le jardin : les quatre éléments indispensables à tout jardin chinois y sont réunis : la pierre, l’eau, la plante, l’architecture (un kiosque dont le toit s’envole des quatre côtés).

Pour le reste, la ville elle-même, que j’ai traversée à pied pour me rendre au jardin, est parfaitement hideuse : le Guide vert la décrit comme une « petite Venise », c’est un mensonge éhonté ; on voit là plutôt une succession de rues pauvres et étroites, assez sales, dans une ville sans aucune grâce, grisâtre et désolée.

*

La température de 28°C, l’air humide, combinés aux longs trajets en voiture dans les embouteillages à toute heure et aux visites, me laissent épuisé. À l’hôtel Nanya de Suzhou, je trouve un peu de repos. Je me rends compte, au bout de ces quelques jours, que la compagnie de la musique, de la radio (en particulier Radio Classique, qu’il m’arrive en France d’écouter des heures d’affilée, y compris la nuit) et de mes disques me manque, dans la solitude et le silence de ma chambre d’hôtel. À Shanghai le téléviseur ne diffusait, toutes en chinois, que cinq ou six chaînes de documentaires rébarbatifs sur la culture du riz et sur des animaux, ou de propagande gouvernementale à la gloire de Xi Jinping. Ici, une parmi la vingtaine de chaînes de télévision diffuse des concerts, et j’écoute à l’instant avec bonheur la Septième de Beethoven, interprétée bellement par un chef d’orchestre occidental que je ne reconnais pas.

Avec la médecine moderne, la possibilité inépuisable d’écouter de la musique chez soi est un des bienfaits de notre temps.

Par la fenêtre de ma chambre, la vue est d’une hideur ! Encore et toujours ces immeubles gris à perte de vue.

*

C’est peut-être ce terrible contraste entre la Chine élégante et lettrée de jadis, celle des livres et des peintures en tous cas, et ce que j’en aperçois aujourd’hui, qui me navre. Le bruit (tout le monde crie ici au lieu de parler), la grisaille, les odeurs, tout m’assaille. Et cependant je ne sens pas d’hostilité particulière dans l’air, rien qu’une immense tristesse et un sentiment de gâchis.



(Minuit vingt.)

J’ai apporté pour ce voyage des vêtements auxquels je ne tiens pas ainsi que des vêtements usés – surtout du linge de corps, boxers, tee-shirts et chaussettes – que je jette au fur et à mesure de mes déplacements. Non seulement je m’allège au fil du temps, mais je mue !



(à suivre.)

 

 

 

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mercredi, 26 août 2020 | Lien permanent | Commentaires (4)

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