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jeudi, 26 mars 2015

Entretien avec Jean de Rancé — à propos du « Carnet d'oiseaux »

 

 

 

Jean de Rancé. -. Cher Frédéric Tison, après le cahier de poèmes illustré d'encres et de gravures Une autre ville (2013), après la carte "poème-estampe" « Les Herbes le soir » (2014), voici que le troisième fruit d'une collaboration avec l'artiste Renaud Allirand vient de mûrir : Carnet d'oiseaux. Comment est né le projet qui mena jusqu'à cet ouvrage ?

 

Frédéric Tison. -. Cher Jean de Rancé, j'avais dans mes chemises et mes tiroirs quelques textes écrits autour de la figure de l'oiseau, entendue bien sûr selon l'animal, qui me trouble, mais aussi selon son esprit, que chacun rêve, et que je suis le premier à rêver, d'une façon même naïve : je veux parler de l'être ailé, de l'ange peut-être, ce précipité, au sens alchimique, qui est en nous, cette "folie", cette vitesse légère et ce regard, cette hauteur peut-être, ce ciel certainement. J'avais depuis longtemps envisagé un petit livre qui serait consacré à cette figure et à son nom. Et, à ce propos, je pense souvent à Elmer (ou Oliver) de Malmesbury, qui est l'Icare médiéval ; j'ai découvert son existence dans la nébuleuse de mes lectures autour de la figure d'Edwine, personnage qui apparaît dans Les Ailes basses. C'est ce moine bénédictin anglais qui, au début du XIe siècle, tenta de voler grâce à des ailes mécaniques de sa conception : l'historien Guillaume de Malmesbury et le poète Hélinand de Froidmont (l'auteur des Vers de la Mort) ont raconté dans leurs Chroniques respectives comment Elmer, vers 1010, réussit, muni de ces ailes, à se jeter du haut d'une tour de l'abbaye de Malmesbury, dans le Wiltshire, et à maintenir son vol pendant deux cents mètres, avant de s'écraser au sol et de se briser les jambes, tantôt, selon les chroniqueurs, sous l'effet de la panique, Elmer ne parvenant plus à diriger ses ailes, tantôt à cause d'une bourrasque malvenue. Guillaume rapporte que cette mésaventure ne découragea nullement notre merveilleux et aimable moine : ce dernier voulut entreprendre un deuxième vol, en ajoutant cette fois une queue à son dispositif, laquelle aurait permis de le stabiliser, mais cela lui fut interdit par son abbé. Le Carnet d'oiseaux aurait pu lui être dédié, j'y pense maintenant ; j'aurais dû le mentionner...

Mais où en étais-je ? Ah oui... Lorsque je découvris certaines des encres de Renaud Allirand dont le sujet était, justement, l'oiseau, je fus très séduit : ces magnifiques petites encres sur papier, pleines de vitalité, m'inspirèrent quelques "poèmes" ; je suggérai à l'artiste un livre commun, où quelques-unes de ses encres illustreraient d'anciens et nouveaux textes miens. Il accepta. Dès lors nous conçûmes ce livre que vous avez dans vos mains. Je choisis un peu moins d'une trentaine d'encres (vingt-sept exactement), et deux gouaches (lesquelles illustrent la couverture de cet ouvrage). Nous cherchâmes infructueusement un éditeur de livres d'artiste, puis nous tournâmes vers les possibilités nouvelles qu'offre l'Internet, notamment, dans ce cas précis, vers un éditeur en ligne, nommé Bibliocratie, qui propose des souscriptions : l'éditeur se charge d'élaborer un livre à condition qu'un certain nombre d'exemplaires souscrits soit atteint, ce qui évite l'inutile ou ruineux "compte d'auteur", etc. ; ceci n'est pas très intéressant, c'est pourquoi je vous passerai les détails ; mais, j'y viens, cela porta ses fruits : l'ouvrage obtint 76 souscriptions (j'en ôte les vingt exemplaires que nous commandâmes, l'artiste et moi), chiffre considérable dans un contexte aussi confidentiel.

 

J. de R. -. Racontez-nous, si vous le voulez bien, la genèse des cinq parties de cet ouvrage.

 

F. T. -. Pour l'anecdote, le titre initial était au pluriel : Carnets d'oiseaux, car l'ouvrage est composé de cinq parties en vers et en prose, très différentes les unes des autres. Mais le singulier l'emporta, pour des raisons de clarté : lire les « Carnets d'oiseaux » (lesquels ?), etc., cela n'allait pas.

Le plus ancien des textes est contenu dans la partie III., « Les Petits Oiseaux de Theuth » ; il date de 2007, et a été entièrement refondu et récrit en 2012. « Le Dit de la voix » (partie II.) date de 2013. Les parties I. et V. datent de l'été 2014.  Quant aux « Fragments d'un volucraire », qui se présentent sous la forme d'entrées de journal, ils furent composés de mars 2012 à mars 2014. J'ai pensé rassembler ces textes très divers, qui dormaient pour ainsi dire, lorsque je découvris les encres de Renaud Allirand : soudain j'en vis la trame commune, et le livre devint, en quelque sorte, nécessaire. Sans doute appelaient-ils l'image...

 

J. de R. -. En quoi les « Oiseaux » de Renaud Allirand vous ont-ils particulièrement séduit ?

 

F. T. -. J'aime que ces encres soient à la fois, comme souvent d'ailleurs chez l'artiste, à mi-chemin entre l'abstraction et la figuration : nous y reconnaissons aisément la figure de l'oiseau, mais l'oiseau est dans le même temps, ou le même regard, un pur trait calligraphique, il est pour ainsi dire enfanté par le geste de la main et le pinceau. À son tour le trait se voit pourvu d'ailes...

 
 

J. de R. -. Un autre livre d'artiste verra-t-il le jour, s'il n'est pas déjà en préparation ?

 

F. T. -. Seul Hermès, dieu des messagers et des messages, le sait déjà.

 

 

 

 

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