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jeudi, 04 juin 2015

Bordeaux, 1580

 

 

 

 

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Michel de Montaigne, Essais, Livre premier & second,
édition originale, Bordeaux, chez S. Millanges imprimeur ordinaire du Roy, 1580,
à l'exposition « Sade, marquis de l'ombre, prince des Lumières »

à l'Institut des Lettres et Manuscrits, Paris VII,
photographie : novembre 2014.

 

 

 

mercredi, 28 août 2013

Villes belles

 

 

Comment visiter une ville lorsqu’on n’est pas un prince de ce monde, lorsqu’on a peu de temps ? Je crois que j'aime l’Italie, et j’ai vu Côme, naguère, avec ravissement, et les villas autour de Côme, dont les beaux parcs descendent vers le lac ; et j’ai aimé, passionnément, avec agacement, Florence, dont il paraît que c’est une belle ville, et c’est une belle ville, de loin, comme sur les peintures, mais le détail de la ville offre non pas la Beauté, mais des îlots de son souvenir, des fragments perdus dans les rues sales, dans le bruit, parmi les pancartes et les passants sans grâce, des lambeaux dans des églises et des parcs admirables dont l’entrée est payante. Une belle ville… Je préfèrerais une ville belle : en postposant l’épithète j’indiquerais quelque splendeur perdue dont seuls des livres, des peintures et quelques photographies anciennes peuvent encore témoigner. Les siècles passés, certes, ont connu des voyageurs qui se plaignaient déjà des villes, ainsi Montaigne qui, dans son Journal en Italie par la Suisse & l'Allemagne en 1580 & 1581, déplore les odeurs et les bruits qui l’assaillent. Que nous dirait Michel de Montaigne, qu'ajouterait-il à propos de nos villes à ses Essais mouvants ? Et Baudelaire ! Charles Baudelaire qui s’affligeait, vers 1860, des affiches sur les murs de Paris… Que dirait son fantôme aujourd’hui revenu, à quelle nausée plus immense encore succomberait-il ? Et François Pétrarque, qui se promena à Rome, en 1337, parmi les ruines antiques qui servaient de carrières...

Ainsi les villes belles ne sont plus – ce sont des masques désormais démasqués… Les puissants qui jadis ornaient les villes selon leur bon plaisir, et un goût souvent très sûr qu’ils apprenaient des artistes de leur temps, ont laissé la place à des puissants qui sont leurs héritiers mais dont la poursuite de la beauté ne rehausse plus le prestige, et dont la fortune, alors, est augmentée au rythme de la floraison, sans saison, des criardes pancartes, essaimées partout, vantant les produits que toute chose est à leurs yeux exclusivement devenue.

Il ne nous est que de déceler les îlots épars de la Beauté – il en est encore ! Prague, La Corogne, Athènes, Saint-Pétersbourg, Munich, Rome, Turin, Florence, Gênes, mille villes sont d'abord dans nos livres imaginaires ou réels, et c'est à nous d'en ouvrir les pages enluminées.