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vendredi, 19 septembre 2014

La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416 (1)

 

 

 Introduction

 

 

Lorsqu’il meurt, le 15 juin 1416, dans son hôtel de Nesle à Paris, Jean de France, duc de Berry, laisse de considérables dettes ; la liquidation de sa succession prévoit le rapatriement, à Paris, des livres de sa « Librairie »* constituée au château de Mehun-sur-Yèvre.  L’inventaire et l’estimation de la bibliothèque du fastueux prince furent dressés par Jean Le Bourne, contrôleur de sa maison. Il en reste deux manuscrits, dont celui que conserve la bibliothèque Sainte-Geneviève et que le magistrat de Bourges et érudit Alfred Hiver de Beauvoir (1802-18..?) publia, en 1860, sous forme de catalogue thématique : son ouvrage La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416, publiée en entier pour la première fois d’après les inventaires et avec des notes, paru chez Auguste Aubry, à Paris, répertorie en effet les ouvrages du duc en usant de cinq grandes classes, « Théologie », « Science & Arts », « Belles-Lettres »,  « Histoire » et « Livres divers », qui ne figuraient pas dans l’inventaire original où tous les livres se succédaient sans aucun ordre ou presque, à l’instar de l’inventaire de la Bibliothèque de Charles d’Orléans, à son château de Blois, en 1427.

 

Quelle était, à la fin du XIVe et au début du XVe siècle, une bibliothèque princière ? Celle de Charles d’Orléans (tout du moins celle du château de Blois, qu’il avait héritée de son père et augmentée) était aussi celle d’un poète. Jean de Berry était un lettré, et un bibliophile, mais n’était pas un poète – sa bibliothèque diffère-t-elle vraiment de celle de Blois ? Il m’a semblé curieux de me plonger dans cet inventaire à mon tour, sachant que les 162 ouvrages manuscrits répertoriés représentent un chiffre considérable pour l’époque, et que le château de Mehun-sur-Yèvre, qui était alors, si j’en crois la merveilleuse miniature des frères Limbourg contenue dans les Très Riches Heures du duc de Berry, le plus beau des châteaux, devait sans nul doute offrir, aux yeux du duc, l’écrin le plus digne du meilleur ou du plus précieux de sa collection.

 

 

Comme pour la bibliothèque de Blois, je propose de livrer ici l'intégralité de cet inventaire ; encore une fois je le ferai sous la forme de fragments, de petits billets qui présenteront un, deux ou trois ouvrages à la fois. Je respecterai l'ordre adopté par Hiver de Beauvoir ; je conserverai également l'orthographe de l'original, d'après la transcription effectuée par l’éditeur et auteur.

Je laisserai les prix indiqués à la fin des notices, et qui s’expriment par exemple ainsi : « 50 liv. 10 s. », c’est-à-dire : 50 livres et 10 sous. Une livre (environ 409 grammes du métal argent) valait 20 sous (qui eux-mêmes valaient 240 deniers). La livre parisis est celle de Paris, la livre tournois celle de Tours.

Hiver de Beauvoir, ajoutant quelquefois des annotations, le fait en érudit elliptique s’adressant exclusivement à des érudits. Le lecteur, même cultivé, ne s’y retrouve guère ; j’ai donc tenté d’éclaircir de mon mieux le contenu de chaque ouvrage lorsqu’il n’allait pas de soi. Les « traductions » du moyen français et les notes diverses entre crochets dans le corps des notices, ou situées après celles-ci, sont toutes de mon fait.

 

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*Le mot de « librairie » (du latin « librarius », puis de l’ancien français « librarie »), on le sait, avait trois sens : la bibliothèque en tant que lieu où les livres sont déposés ; ensuite le commerce de ces livres ; enfin le magasin où ils sont entreposés. Au XVIIe siècle, il perd sa première signification, au profit de « bibliothèque ».

 

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La Librairie de Jean, duc de Berry, au château de Mehun-sur-Yèvre, en 1416

 

Théologie

Écriture sainte

 

 

« 1. Une très-belle Bible en latin, escripte de lettre boulonnoise [écriture de Bologne, en Italie, l'italique, donc], qui fut du roy Robert, jadis roy de Secille [Robert d’Anjou (1277-1343), roi de Naples (c'est-à-dire du royaume de Sicile (« Secille ») non insulaire lors de la séparation des Royaumes)], très-bien historiée [ornée de miniatures] et enluminée d’ouvrage roumain [romain, que l’on distinguait de l’ouvrage lombard], et au commencement du second fueillet a escript : One usque ad AEgiptum ; couverte de cuir rouge empraint [orné de dessins en creux imprimés à froid ou à chaud par des fers], à iiij [quatre] fermoers d’argent doré, esmaillés aux armes de Mons.[eigneur] ; et pardessus a une chemise de damas bleu doublé de tiercelin [tissu de trois espèces de fils, souvent utilisé pour les ornements d’église] vermeil ; laquelle Mgr d’Orléans donna à Mons. le xviije jour d’aoust l’an mil cccc vij [18 août 1407]._ 250 liv. »

« Mgr d’Orléans » est certainement Louis Ier d’Orléans, frère de Charles VI et père de Charles d’Orléans, assassiné le 23 novembre 1407 à l'instigation de son cousin Jean sans Peur.  Il est question de sa mort dans la notice suivante.

 

 

« 2. Une belle Bible en latin, escripte de lettre boulonnoise, très-bien historiée et enluminée d’ouvrage roumain, et au commencement du second fueillet a escript : Spondet, et pardessus les fueillets à escussons paints aux armes de feu pape Clément de Genève [Robert de Genève (1342-1394), l’antipape ou pape d’Avignon Clément VII (1378-1394)], et de celles de Mons. ; couverte de veluyau [velours] brodé, fermant à iiij fermoers d’argent doré, esmaillés aux armes de Mons. ; et pardessus a une chemise de drap de damas bleu doublé d’un tiercelin vermeil ; laquelle avait été de Mons., et a été recouvrée après le trepas de feu Mgr d’Orléans._ 375 liv. »

 

(à suivre.)

 

DSC_1039 b.jpg

 

Priant (XVe s.) de Jean, duc de Berry (1340-1416), détail,
dans la cathédrale Saint-Étienne de Bourges,
photographie : juin 2014.