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mercredi, 09 avril 2014

Trois questions de Jean de Rancé (Entretien d'un soir)

 

(Je dédie ce petit entretien à mes Lecteurs & Correspondants.)

 

 

 

Jean de Rancé. -. Voici assez longtemps, cher Frédéric Tison, que nous ne nous sommes pas entretenus "publiquement" (sur ce blogue, je veux dire). Le temps manque, toujours, hélas, mais en attendant quelque heure plus propice à un long entretien, j'aimerais vous poser trois questions, si vous le voulez bien.

 

Frédéric Tison. -. Je suis là, vous le savez bien, cher Jean de Rancé !

 

J. de R. -. La première concerne la réception de vos dernières publications, Les Effigies (aux Éditions Librairie-Galerie Racine) pour commencer, puis votre traduction du Lai de l'Ombre de Jehan Renart, et encore "Les Herbes le soir", la carte que vous avez publiée, le peintre et graveur Renaud Allirand et vous, enfin le deuxième volume du Clair du temps, cette collection de photographies accompagnées de notes que vous avez auto-éditée récemment. Ces livres ont-ils rencontré un public ?

 

F. T. -. Je ne vous cacherai pas que leur diffusion est restée confidentielle, mais je suis très heureux de ces publications, et je mesure avant toute chose la chance qui m'a été donnée de pouvoir les partager. L'absence de relais "médiatique" n'en a nullement fait des lettres mortes ; au contraire, d'assez nombreuses personnes m'ont témoigné leur intérêt pour l'une ou l'autre de ces publications, et c'est pour moi l'occasion de dire que, malgré le pessimisme de rigueur qu'il est loisible d'observer parmi tous les contempteurs systématiques de la modernité, un archipel demeure possible, un échange, une réunion d'îles aimantes et attentives, îles qui savent bien que, depuis que le monde est monde, seul importe l'acte d'aimer, non son intention.

 

J. de R. -. Vous continuez d'enrichir votre blogue de toute sorte d'images et de notes, à un rythme régulier. Là encore, l'échange est-il réel ?

 

F. T. -. Bien sûr, j'augmente avec un grand plaisir ce blogue, et j'ai encore cette chance d'avoir des lecteurs réguliers et attentifs, même si nombreux sont ceux qui ne se manifestent qu'en privé. Ce blogue est également, vous l'aurez noté, une sorte de "laboratoire", et mes visiteurs, même discrets, demeurent bienveillants. J'en profite pour les saluer amicalement !

 

J. de R. -. Que vous a permis de comprendre l'acte de publier, et ainsi de soumettre à l'appréciation (ou l'indifférence) d'autrui vos "travaux" ?

 

F. T. -. Publier me permet de passer à autre chose, de tout simplement passer. Cela m'indique des chemins, et le regard que je pose sur mes publications est toujours critique, c'est-à-dire qu'il est fécond. Je ne peux pas connaître les regards de mes lecteurs, mais je les suppose en pensée... C'est ainsi que je deviens mon propre lecteur, en quelque sorte... Écrire, c'est aussi se voir écrire, et cela est très instructif (je dirais de même pour la photographie ou l'aquarelle). Ainsi, par exemple, mais cela m'est essentiel, je m'interroge sur la valeur, sur la beauté, sur l'"aura" de tel livre ou telle image : ces notions sont sans cesse bouleversées. Pour être plus précis : l'écueil (le r é c i f) est le joli, et même le beau, quand celui-ci n'est que souvenir ou récit personnels, qui ne diront peut-être pas le même beau à chacun... La tentation est grande et redoutable de donner du clair du temps, justement (le clair du temps étant non seulement l'instant des choses mais leur horizon, passé, présent et "avenir" rassemblés), la seule image choisie parmi les noirceurs du monde, quand celles-ci sauraient pourtant l'irriguer, ce monde, et le connaître tout en nous le faisant connaître. Le piège est le même que celui qui attend le poème, lorsque de la poésie il ne retient que le prisme du langage admirable... Il fallait tomber parfois dans ce piège ; c'était sans doute la condition de la poursuite du chemin. À la fin c'est toujours plus de profondeur qui manque, dirais-je, s'il faut aller plus loin que ce qui est seulement beau, ou plutôt que ce que je trouve beau... À la fin c'est chercher l'image qui demeure un Désir ; le mot qui demeure parole dans l'oreille et dans le cœur ; le visage d'encres et de couleurs.

 

 

 

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