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mercredi, 08 janvier 2014

La bibliothèque de Charles d'Orléans, à son château de Blois, en 1427 (2)


Introduction.

 

 

« 3. Une Légende dorée en latin et lettre de forme, neufve, couverte de veloux noir, non historiée, sans fermoers. »


Que l'ouvrage (1261-1266) de Jacques de Voragine soit le troisième ouvrage recensé après la Bible et Les Métamorphoses semble naturel : le livre, une collection de Vies de saints, est une mine d'anecdotes amusantes, terrifiantes ou déconcertantes, et son caractère à nos yeux souvent extravagant ne doit pas faire oublier qu'il fut l'un des livres les plus lus de son temps. Moins d'un siècle seulement après sa composition, il était traduit en français par Jean de Vignay, et il fut, en 1476, à Lyon, le premier livre imprimé en langue française. Il suffit parfois, pour comprendre l'iconographie d'une cathédrale ou les motifs religieux d'un peintre flamand ou italien des XIVe et XVe siècles, de se munir de la Légende dorée. (Je signale à mon Lecteur que l'édition de la Bibliothèque de la Pléiade est excellemment faite, je pense notamment à son index très pratique.)

On remarquera que le mot désignant les fermoirs du livre est, dans le même texte, à deux lignes d'intervalle, écrit avec deux orthographes différentes : fermaulx et fermoers.

 

« 4. Unes Histoires scolastiques, en françois, déclarans [expliquant, élucidant] les histoires de la Bible, depuis le comencement du monde jusques à l'ascension de Nostre Seigneur, escriptes en françois, toutes neufves, à lettre bastarde, historiées et dorées en plusieurs lieux, couverte de veloux noir, à deux fermoers dorés, esmailliés aux armes de monseigneur d'Orléans. »


Le Roux de Lincy écrit que « les lettres bastardes constituaient un genre d'écriture fort usité au quatorzième et quinzième siècles, et qui tenait à la fois du caractère de forme et de la cursive ».

 

Il s'agit de l'Histoire scolastique de Pierre Comestor ou Pierre-le-Mangeur dit aussi Manducator (1100 ? - 1179 ?), chancelier de l'église de Paris. Jean Trithème nous apprend qu'il était nommé ainsi non parce qu'il était particulièrement gourmand, mais parce qu'il dévorait les livres. Son Histoire scolastique, destinée à un public scolaire, est un abrégé de l'Ancien et du Nouveau Testament, dont il comble les vides historiques par des citations de Flavius Josèphe et d'autres auteurs profanes. Guyars des Moulins, doyen de l'église de Saint-Pierre d'Aire en Artois, la traduisit en français en 1297.

 

 

(à suivre.)

 

 

 

lundi, 06 janvier 2014

La bibliothèque de Charles d'Orléans, à son château de Blois, en 1427

 

 

J'eus naguère l'idée d'éditer, sous la forme d'un petit livre, les Onze Ballades du Puy de Blois, le fameux concours de poésie que proposa aux poètes de sa cour, vers 1457-1460, Charles d'Orléans sur le thème « Je meurs de soif auprès de la fontaine ». Afin de déceler quelque source livresque de ces poèmes, je m'étais notamment plongé dans l'inventaire de la « Librairie » de Charles d'Orléans, d'après un ouvrage tout à fait passionnant publié en 1843, chez les imprimeurs de l'Institut Firmin Didot Frères, à Paris, par Antoine Le Roux de Lincy (1806-1869), bibliographe à la Bibliothèque de l'Arsenal et secrétaire de la Société des Bibliophiles français, et intitulé La Bibliothèque de Charles d'Orléans à son château de Blois, en 1427, publiée pour la première fois d'après l'inventaire original

 

Lorsque les Anglais, en 1427, menacèrent le pays de Loire et, en particulier, la ville de Blois, son château, les livres de sa bibliothèque, les meubles et les objets d'art qui y étaient rassemblés, Charles d'Orléans, qui était alors prisonnier en Angleterre, ordonna à son premier chambellan, le seigneur de Mortemart, à « messire Jehan de Rochechouart, chevalier », et à son secrétaire et conseiller Pierre Sauvaige, de procéder au déménagement de ces objets à Saumur, en Anjou, où ils seraient mis à l'abri. C'est à cette occasion que cet inventaire fut réalisé, par Maître Jehan de Tuilières, « licencié en lois, et lieutenant de monsieur le gouverneur de Blois ».


Beaucoup de ces livres avaient été légués, comme c'était l'usage, à Charles d'Orléans par son père, le duc Louis d'Orléans, qui, pour certains d'entre eux, les avait fait composer à ses frais. Dès lors nous ne savons pas si Charles d'Orléans a réellement lu l'ensemble de ces livres, ni s'il les a relus, ou seulement vite feuilletés. Mais une bibliothèque en dit à la fois long et peu sur son propriétaire. Celle-ci, qui est d'un prince du XVe siècle, et d'un poète, est une trace de sa mémoire aussi bien que sa mémoire possible. En Angleterre, Charles d'Orléans avait sans nul doute parcouru des ouvrages dont le titre restera à jamais inconnu : n'est-ce pas encore ce que nous voile toute bibliothèque privée, laquelle ne reflète qu'en partie les lectures de son possesseur ? Le goût du détenteur peut également transparaître à travers une liste d'œuvres, naturellement ; mais comment savoir précisément lesquels de ces livres ont été particulièrement aimés ?

*


Je propose de livrer ici l'intégralité de cet inventaire, qui référence exactement 80 livres, la plupart très précieux ; mais je le ferai sous la forme de fragments, de petits billets qui présenteront un, deux ou trois ouvrages à la fois. Je respecterai l'ordre dans lequel Jehan de Tuilières, dans son petit cahier de six feuillets, nous en a laissé le souvenir ; je conserverai également l'orthographe de l'original, d'après la transcription effectuée par Antoine Le Roux de Lincy, auquel j'emprunterai parfois quelques annotations à propos de chacun des livres, en ce qui concerne leur description formelle.

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La bibliothèque de Charles d'Orléans, à son château de Blois, en 1427




« 1. Une Bible translatée en françois, neufve, historiée, à lettre de forme et à grans lettres et nombres     d'or. »

Ce premier livre est-il encore dans les collections de la Bibliothèque nationale de France ? La description est un peu vague, si l'on songe à la profusion de ce type d'ouvrage, alors.


La  « lettre de forme », autrement appelée "textura", était une écriture gothique, en lettre minuscule et en gros caractères, habituellement utilisée pour les Bibles. Cette Bible était enluminée, ornée de miniatures (historiée) et somptueusement décorée d'initiales (grans lettres) et de chiffres peints à l'or (nombres d'or).

On sait que Louis d'Orléans, à la fin du XIVe siècle, avait commandé des traductions françaises de la Bible. "Neuf" signifie plus particulièrement "récent" : un livre de 1395 pouvait-il être considéré comme "nouveau" en 1427 ? C'est que, nous autres modernes, nous sommes trop habitués à l'obsolescence d'une année, voire d'une semaine.



« 2. Ung Ovide Metamorphoseos, en françois et lettres courant, couvert de veloux noir ; et le dit livre tout neuf à deux fermaulx semblans d'argens dorés, esmailliés aux armes de monseigneur d'Orléans. »


Ce livre était composé en écriture cursive (lettres courant). Les riches « fermaulx » sont les fermoirs du livre, dont le transcripteur nous apprend qu'ils avaient été fabriqués par l'orfèvre Josset d'Esture, à Paris.


En 1843, la Bibliothèque royale possédait deux exemplaires de L'Ovide moralisé (daté du début du XIVe siècle,  « traduction moralisée » des Métamorphoses d'Ovide dans un ouvrage alors fautivement attribué au compositeur et évêque de Meaux Philippe de Vitry (1291-1361)), et Le Roux de Lincy pense qu'il s'agit de l'un d'eux.

Cet ouvrage fut très lu : c'est à travers cet Ovide-là qu'œuvrèrent alors peintres et poètes renaissants, et c'est pour cela qu'ils ne nous semblent pas toujours avoir lu le même livre que celui que nous lisons aujourd'hui...


(à suivre.)