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lundi, 18 septembre 2023

Une note de Rémi Madar

 
 
Focus sur le Livre I. Sur champ de sable in La Table d’attente de Frédéric Tison.
 
 
 
Frédéric Tison évoque dans ce Livre I la topographie d’un lieu ésotérique, un espace où le cosmique se mêle au spirituel, dans une poésie qui bafoue la raison, à l’instar des surréalistes : « Le ciel n’est pas assez grand, le soleil n’est dans le ciel qu’un volcan - Mes anges suffoquent parmi des nuages trop lents, et mes temples dorment en attendant une trop petite mer. » Dans cet endroit transcendant, le poète brosse le portrait d’un « je », dont les traits sont changeants et parfois insaisissables, un « je » qui exprime également ses aspirations. Ce « je » en question, Tison tente tout d’abord de le cerner, ce qui ne s’avère pas une mince affaire. Son physique hybride étonne pour le moins le lecteur, à la fois humain : « … j’ai des yeux plus clairs » et végétal : « … mes bras sont lierres et pampres » mais encore monstrueux : « Je suis le visage encombré. J’obsède les miroirs et les fenêtres. » ou présent dans le regard de l’autre : « vous me verrez dans un regard » ou encore à peine perceptible : « dans une peinture presque effacée. ». Mais le poète ne s’arrête pas ; il s’efforce d’insuffler vie à cette identité en l’inscrivant dans une temporalité où le présent : « je suis ici le vent d’un autre port (…) » côtoie le passé simple : « J’eus trente ans dans une chambre que traversaient par instants les éclats d’un phare de granit. » ou le passé composé : « J’ai rêvé le château du large (…) » ou bien le futur antérieur : « A quarante-cinq ans j’aurai dit la musique comme le ciel (…) ». Enfin, ce « je » demeure dans un « pays » contradictoire, constitué « d’accords et de désaccords », un « pays » où le mouvement occupe une place centrale puisqu’il est fait de « cadences et de luttes. » Mais ce « je » aux contours pour le moins déconcertants, ancré dans un territoire lui aussi difficilement cernable ne serait rien sans la présence de l’autre. Si le « je » aspire à bâtir une demeure cosmique qui soit à la hauteur de ses désirs : « …les galaxies seraient-elles être assez grandes ? - pour mes mains jointes (…) pour mes étoiles ! » ; il a besoin de la présence d’un « tu », nécessaire à son accomplissement. L’autre est alors source d’interrogations : « Est-ce là que je dois attendre, et attendre quelque chose, et attendre quelqu’un ? » ou d’inquiétude : « Qu’as-tu donc fait, où t’es-tu perdu (…) N’as-tu pas chanté trop vite (…) avant de prier ? ». Il est aussi celui que l’on recherche au-delà des apparences et son physique, aussi beau soit-il, n’est pas suffisant : « … y a-t-il quelqu’un derrière ce beau visage ? » Mais - et c’est un message important de ce Livre - l ’autre est le tremplin indispensable à la création artistique, on l’attend, on tente de l’identifier et quand il est présent, il devient le compagnon que l’on convoque pour créer : le poète nous dit qu’il est « l’auteur » d’une œuvre qui a été « ensevelie » et qu’il est possible de la faire renaître en forçant avec l’autre « des coffres de silence. » Plus encore, l’autre est thaumaturge, créateur du vivant : « J’attends tes mains pour ranimer des visages au fond de palais d’ombres stagnantes. » Ce livre I nous parle donc d’une identité aux visages pluriels, inscrite dans une histoire aux temporalités multiples, identité qui cherche une sorte d’alter ego pour être dans la création. La poésie de Frédéric Tison transcende le réel pour nous proposer un autre monde, bien plus fabuleux, bien plus insaisissable que l’univers que nous côtoyons au quotidien, une sphère immatérielle sur laquelle on ne peut avoir de prise, à l’image du « sable » qui glisse entre nos mains ; le poète vient aussi nous rappeler que dans ce monde-là l’altérité est le moteur de la création artistique, de la Vie dans son sens le plus plein et le plus édifiant.
 
 
Rémi Madar. (Note publiée sur Facebook le 18 septembre 2023.)
 
 
(Je remercie ici vivement l'auteur de cette note.)
 
 
 

18:39 Écrit par Frédéric Tison dans Lectures, Une petite bibliothèque | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

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