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lundi, 28 février 2022

Connaître

 

 

On ne connaît nullement quelqu'un, même si l'on a marché parfois côte à côte, épaule contre épaule, main dans la main dans la rue, même si l'on a partagé quelques surprises, quelques voyages, et échangé mille et un rires — On sait en filigrane qu'il va mourir, lui aussi. — On le savait depuis ce toujours qui commença lors de la première rencontre. Et peu à peu les côtes s'éloignent, les épaules se défont ou s'écroulent, les mains se retirent. Les yeux de quelqu'un, soudain, fuient. Sa voix bavarde ou s'absente. La musique qu'on a écoutée ensemble ne peut plus s'écouter que dans la solitude, le tableau admiré demeure dans la salle vide du musée qui l'expose, le poème tant aimé s'est refermé dans son propre livre. On va à l'Opéra seul, bien habillé dans la salle soudain plongée dans le noir, pour les seuls regards du compositeur et de Dieu ; on se rend à quelque exposition pour admirer des tableaux parfois sortis de coffres-forts, et l'on se prend à rêver aux trésors inconnus des collections particulières, plus jalouses et anxieuses que n'importe quel Harpagon ; on lit à haute voix, pour soi seul, quelque poème dont on aimerait qu'il s'épanche dans l'air ainsi que des plumes soufflées. On se prend à ne plus pouvoir supporter les paroles méchantes, méprisantes, dénonciatrices, reprochantes, blessantes  — ou le silence indifférent, qui n'est souvent que leur miroir. On souhaiterait être compris ; on souhaiterait une gentillesse qui réponde à la nôtre, une caresse attentive. Nous sommes condamnés à la pauvre solitude, à la maladie prochaine, et à la mort qui attend, dans chacune des secondes qui s'égrènent. « Comment quelqu'un a-t-il pu me jeter dans ce monde horrible ? », se demande-t-on. La mort apparaît comme plus élégante que la vie, parfois  — si elle ne s'accompagne pas de la souffrance physique, faut-il le préciser ? (Oui. Et j'envie les pilules de cyanure que portaient toujours sur eux, si j'en crois les historiens antiques, les empereurs romains, en cas d'inéluctables déroutes.) Au fond, lorsqu'on est un seul, un être seul, veux-je dire, et non seulement un solitaire (lesquels sont bienheureux), une seule chose compte, avant la mort attendue : la contemplation ininterrompue des nuages —  absolution. — Non : j'oublie le vent.

 

 

 

18:35 Écrit par Frédéric Tison dans Crayonné dans la marge, Minuscules | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |

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