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lundi, 19 mai 2014

Synchronie

 

 

 

Le 4 décembre 1359, Edward III, roi d'Angleterre, campe avec son armée devant Reims, dans l'intention, encore une fois, de s'y faire couronner roi de France — c'est l'un des épisodes que narre Georges Minois dans son long et passionnant ouvrage, La Guerre de Cent Ans, que je suis également en train de lire ; je veux dire que je le lis parmi d'autres livres, car il me faut préciser que cette interminable suite de batailles, de massacres, d'assassinats, de destructions, entée d'épidémies de peste, et de famines, est accablante, et qu'elle demande quelques pauses à son lecteur, non par simple délicatesse, mais parce qu'il faut garder, autant que possible, l'esprit clair (et j'en dirais de même de la lecture continue des immenses et terribles Bienveillantes de Jonathan Littell, lecture continue qui rendrait parfaitement fou le lecteur de ce roman ; elle ne correspond pas à la lecture quotidienne de la vie...).

 

Ainsi donc nous voici à Reims, le 4 décembre 1359. Et, à cette occasion, Georges Minois nous apprend en passant (« Mais l'heure n'est pas à la poésie », écrit-il naïvement*, il faut bien être naïf parfois, même lorsqu'on est Georges Minois) que, parmi ceux qui s'apprêtaient à combattre le roi d'Angleterre et protéger la ville, se trouvait le poète et musicien Guillaume de Machaut, chanoine de la sublime cathédrale, et auteur du Livre du Voir Dit et du Dit de la Rose. Et l'historien d'ajouter que dans le camp d'en face, c'est-à-dire l'armée anglaise, figurait Geoffrey Chaucer, le poète des licencieux et drôles Contes de Cantorbéry. Presque dans le même temps, non loin de là, parce qu'il était de l'entourage des légats du pape Innocent VI qui tentaient en vain quelque paix, François Pétrarque lui-même vint constater l'horreur du désastre qui avait lieu.

 

Mais justement, ce qui avait lieu, en ces heures vraiment affreuses, n'était rien, je veux dire, non pas rien pour ces hommes malheureux qui mouraient au nom de choses qui les dépassaient, et qui étaient massacrés selon les intérêts de puissants pour lesquels ils n'étaient rien, mais rien pour notre inénarrable mémoire, ni pour la beauté ; le véritable événement était la réunion, en un seul lieu, selon quelque heure, de trois hauts poètes, sans doute effarés par leur temps comme nous le sommes par le nôtre. Cela n'eut pas lieu cependant pour les contemporains de Machaut, de Chaucer et de Pétrarque — cela a lieu toujours dans nos pensées, qui sont aussi des rêves, certes.

 

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* Page 199 de l'édition de poche "Tempus", Paris : Perrin, 2010.

 

 

19:49 Écrit par Frédéric Tison dans Crayonné dans la marge | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook |

Commentaires

Il n'y a que vous, cher Poète, pour relever ce "détail" de l'histoire, qui fut la présence en un même lieu et au même moment de ces trois Poètes du XIVe siècle ! Mais se connaissaient-ils ou avaient-ils lu les oeuvres des autres ? Apparemment, non...

Écrit par : Mme Uke | mercredi, 21 mai 2014

Les œuvres littéraires circulaient sans doute difficilement... Mais ces poètes ont beaucoup voyagé en Europe, et s'ils ne se sont sans doute jamais rencontrés, ils découvrirent certainement leurs livres respectifs à l'occasion de séjours dans des villes étrangères.

Écrit par : Frédéric Tison | mercredi, 21 mai 2014

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