mercredi, 16 novembre 2016
Au Sri Lanka — Notes de carnet (9)
Jeudi 21 avril 2016 (le soir, à l'hôtel Amaya Hills de Kandy)
Est-il des pays plus colorés que d’autres ? Il me semble qu’il faudrait plutôt parler d’époques que de lieux. La fin du Moyen Âge français était une véritable fête de la couleur ; les cathédrales peintes, les statues polychromes, nous ne les verrons jamais plus telles qu’elles furent, merveilleusement ; et les vêtements, les étoffes ! Je voudrais que nos princes d’aujourd’hui (et qui le sont si peu, princes) fussent vêtus comme Jean de Berry ou Charles d’Orléans (et même comme les roturiers d’alors, car seule la qualité du tissu différait, non sa couleur), de rouge, de bleu, de sinople et d’or, pour parler comme dans l’héraldique. Au Sri Lanka, aujourd’hui, une chose frappe immédiatement : ce monde est plus coloré que le nôtre, dans notre temps. Les vêtements, les linges, les drapeaux, les innombrables fanions des temples, tous les objets même sont comme ces fruits qui s’étalent partout dans ces milliers d’échoppes le long des routes et des rues : rouge vif, vert éclatant, jaune étincelant, orange rutilant – et ces bleus, ces violets, ces beaux marrons clairs des tissus et des murs, et encore ces blancs immaculés des tenues des pèlerins…
Une culture qui met en avant la couleur a peut-être davantage conscience du noir et du gris : elle appelle davantage la lumière. J’aime d’amour et d’admiration l’austérité cistercienne ; cependant j’ai toujours eu un vif penchant pour le gothique, surtout pour ses voûtes jadis peintes et ses vitraux ; et je vais plus volontiers vers Suger que vers Bernard de Clairvaux. Ici aussi, au Sri Lanka, c’est une sorte de théologie de la Lumière qui est à l’œuvre – un véritable amour de ce qui recouvre de couleurs le monde.
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Le Sri Lanka est beaucoup moins sale que je l’avais craint : bien sûr la voirie n’est pas comparable à la nôtre, mais il n’est pas question ici des épouvantables conditions d’hygiène qui s’observent (ai-je lu, et remarque-t-on dans les reportages télévisés que j’ai vus) dans certaines villes de l’Inde voisine. Poussières, déchets alimentaires, et les inévitables objets en matière plastique abandonnés ça et là ; sauf pour la poussière (abondante ici), on n’est finalement pas si loin d’un jour de marché, en France, ni même de certaines rues…
La pauvreté s’y montre digne.
(Je n’oublie pas toutefois les (nombreux) clochards, silènes et mendiants de ce pays : eux sont vraiment dans une misère noire, affligés souvent d’une horrible infirmité, et certains dorment nus sur les trottoirs de terre battue – une autre misère, relative évidemment, est celle de mes mots devant eux. Je me souviens d’un poème mien.)
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D'une manière générale les sites du passé sont bien administrés : pas de panneaux didactiques envahissants, collés sur les murs ou fichés à terre devant un monument, nul cordon de protection hideux, etc., de sorte que rien ou presque n’est défiguré.
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Pour se saluer, on joint ses mains et l’on s’incline légèrement – la poignée de mains occidentale, qui a sa noblesse et sa signification, n’a pas cours ; Paul Celan n’aurait pu écrire, ici : « Je ne vois pas de différence entre une poignée de main et un poème » ! Je salue désormais mes interlocuteurs et les gens que je rencontre les mains jointes : ce geste n’est-il pas lui aussi quelque poème ?
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05:50 Écrit par Frédéric Tison dans Crayonné dans la marge, Voyage au Sri Lanka | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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